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 Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader

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Patrice Ciréfice
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MessageSujet: Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader   Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Icon_minitimeVen 6 Avr - 6:57

Le 31 mai 1907, Frédéric Le Guyader, conservateur de la bibliothèque de Quimper, commençait la publication d'un feuilleton dans le journal « Le Progrès du Finistère », « Histoire d'un trésor à Pont-L'Abbé ».
Ce texte est aujourd'hui introuvable.
Il m'a semblé intéressant de faire découvrir ce texte aux lecteurs du forum, car c'est là une manière de découvrir un autre aspect de ce braspartiate célèbre. Le Guyader, très connu à Quimper, utilisait un nom d'emprunt, qu'il changeait à chaque nouvelle publication. Pour ce feuilleton, il avait choisi le pseudonyme de Jean-Baptiste Guirriec. L'auteur commence d'ailleurs par une présentation du personnage ...


Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Le_pro11

**
*

Note. - On sait peu de chose de Jean-Baptiste Guirriec. Vers 1840, il habitait le manoir de Keravel, aux portes de Pont-L'Abbé, et il a du mourir, une dizaine d'années après, non pas à Pont-L'Abbé, mais dans une commune avoisinant Quimperlé.
Ce brave homme a laissé des souvenirs écrits, dont la forme nous paraîtrait aujourd'hui bien défectueuse, mais qui ne manquent pas d'intérêt.
Le récit historique qu'on va lire est d'autant plus attachant que Guirriec l'a écrit, pour ainsi dire, sous la dictée de Melle Thibaudière, la fille du malheureux serviteur du duc de Penthièvre, mort le même jour et presque à la même heure que la princesse de Lamballe.
Nous donnons le récit de Guirriec, non pas tel que nous l'avons sous les yeux, dans un manuscrit aux feuillets jaunis, qui semble avoir passé par beaucoup de mains avant de tomber dans les nôtres ; nous avons dû en rajeunir le style, en supprimer les longueurs, et même, pour le rendre plus clair à nos lecteurs, ajouter des chapitres entiers à la partie historique.



I

M. Stanislas-Louis-René Thibaudière, ancien intendant du duc de Penthièvre, pour un des nombreux districts de ses immenses propriétés, était venu habiter Pont-L'Abbé en 1786.
Tout près de la ville, sur les hauteurs alors boisées où se croisent aujourd'hui les routes de Quimper et de Combrit, il avait acheté un très modeste manoir, à cinquante pas du chemin, manoir dont il ne reste pas une pierre depuis un demi siècle, et qu'on appelait, à l'époque de la Révolution, le domaine de Keravel.
La maison, quoique ne datant que du siècle précédent, sembalit déjà vieille. Noire et triste, abritée, au Nord-Ouest, d'un joli bouquet d'arbres qui, dans la belle saison, la rendait habitable, entourée d'un verger et de deux ou trois champs, suffisants pour l'entretien d'une vache et d'un cheval, la demeure de M. Thibaudière convenait bien à un homme de son allure et de son caractère.
L'ancien intendant avait 60 ans peut-être, ou, du moins, son visage ravagé, son dos courbé, son pas lent et pénible lui donnaient cet âge. Cet homme semblait la tristesse en personne, avec un air maladif qui le penchait d'avance vers la tombe.
Il devait être pauvre, et vivait à peu près en solitaire, avec sa petite fille Louise qui, en 1786, avait six ans. Veuf du jour même que sa fille était née, il n'avait, pour le servir, et pour l'aider à élever l'enfant, qu'une vieille domestique bretonne, du nom de Jabel, diminutif d'Isabelle.
La seule maison qu'il fréquentât, à Pont-L'Abbé, était celle de son beau-frère, un sieur Cléro, originaire de Vannes, marié à sa soeur depuis nombre d'années, maréchal-vétérinaire à l'entrée de la ville, tout contre le château.

Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Chatea11

C'était le plus brave homme du monde, aimé et estimé de tous, ainsi que sa femme. Tous deux, n'ayant pas d'enfants, reportaient toute leur affection sur leur petite nièce, Louise Thibaudière, qui était trop heureuse de trouver, de temps à autre, la maison Cléro pour lui faire oublier les longs ennuis du manoir de Keravel.
Les deux familles avaient vu passer, sans trop d'émotions, les trois premières années de la Révolution, quand, vers la fin d'Août 1792, un événement inattendu vint, pour toujours, troubler leur existence à tous, et les accabler, l'un après l'autre, sous le poids de malheurs qui sembleraient incroyables, si la période révolutionnaire ne nous avait pas, de longue date, habitués à toutes les tragédies, à toutes les épouvantes.

II

Le 20 Août 1792, le vieil intendant des Penthièvre recevait une lettre, à lui apportée par un courrier venant de Paris.
Cette lettre émanait-elle de son ancien maître ? Etait-il question, dans cette lettre, de la princesse de Lamballe, belle-fille du duc de Penthièvre, enfermée au Temple, depuis le 13 Août, avec la famille royale ?

Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Prince10

C'est fort probable, et l'urgence, sans doute, était extrême, car, deux heures après avoir reçu des mains de l'exprès, la lettre en question, Thibaudière partait pour Paris.
A la hâte, il avait fait quelques préparatifs ; on l'avait vu, lui dont la démarche était toujours si mesurée, se rendre, l'air très agité, chez son beau-frère Cléro. Son désappointement fut des plus vifs quand il sut de sa soeur que Cléro était absent pour deux jours.
Il avait, de toute évidence, une communication importante à lui faire, avant son départ.
De plus, en raison de la gravité de cette communication, il ne pouvait pas compter sur sa soeur qui, malgré son extrême probité, ne lui paraissait pas assez sûre. Madame Cléro était, en effet, la bonté même, mais d'une faiblesse d'esprit incocevable.
N'ayant pas une minute à perdre, Thibaudière revint chez lui, fit ses adieux à la petite Louise, la recommandant chaleureusement à toutes les sollicitudes de la vieille Jabel, et, au dernier moment, il remit à celle-ci une lettre à l'adresse de son beau-frère Cléro, en lui disant, parlant breton tout naturellement, car la bonne femme ne savait pas un mot de français :
« Ma bonne Isabelle, je pars pour Paris, et serai de retour, s'il plait à Dieu, dans dix jours au plus. N'ayez pas d'inquiétude à mon sujet ; mon voyage n'a pas d'importance, et sera court. Voici cependant une lettre pour mon beau-frère, au cas où je serai retardé par des affaires imprévues. Mais gardez-vous bien de remettre cette lettre à Cléro, avant d'être assurée que je ne reviendrai pas, et la mort seule pourrait m'arrêter. Quand donc vous serez certaine de ma mort, déposez la lettre entre ses mains, mais pas avant, ne l'oubliez pas. »

( à suivre)
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MessageSujet: Re: Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader   Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Icon_minitimeMer 11 Avr - 11:01

Trois jours après, Thibaudière était à Paris. En 1760, d'après la correspondance de Fréron, il fallait 72 heures pour faire ce trajet. En 1792, il n'y avait pas de progrès dans le service des voitures publiques, sans parler des retards fréquents occasionnés par les orages successifs de la tourmente révolutionnaire.
Thibaudière n'était pas à Paris depuis une demi-journée, qu'il était arrêté comme suspect, et écroué à La Force.
Qu'était-il venu faire rue Saint-Antoine ? Ses démarches de ce côté lui avaient-elles été indiquées, commandées par la missive pressante qu'il avait reçue à Keravel ?
On pourrait le supposer. Car la princesse de Lamballe, qui avait suivi la famille royale, le 13 Août, dans la prison du Temple, en avait été extraite le 19, et conduite d'abord à l'Hôtel-de-Ville, où siégeait la Commune, et, de là, enfermée à la Petite-Force, réservée aux femmes.
Depuis la journée du 10 Août, les arrestations arbitraires avaient augmenté dans des proportions incroyables : à la veille du 1er Septembre, les prisons étaient pleines : L'Abbaye de Saint-Germain-des-Prés, la Conciergerie, les Carmes, le Châtelet, La Force, Bicêtre, la Salpétrière, renfermaient des milliers de malheureux destinés à la boucherie prochaine : dans les journées à jamais odieuses des 2 et 3 Septembre, seize cents victimes allaient être, non pas jugées et exécutées, mais simplement livrées à toutes les fureurs d'une populace ivre de vin et de sang, et massacrées.

III

On peut le dire, le 10 Août fut une date décisive dans les destinées de la Révolution.
Elles auraient pu, en effet, être meilleures, dégagées des violences inutiles, et des hécatombes hideuses, ineffaçables sur les Tables d'airain de l'Histoire. A partir du 10 Août, les crimes se précipitent, comme jaloux de se dépasser.
Le retour de Varennes avait enlevé tout prestige à la Royauté, mais l'ère des violences n'était pas ouverte, ni même prévue.
Le 10 Août 1792, c'en est fait.Les Tuileries sont prises d'assaut. Le Roi, la Reine, tous les princes et la maison du Roi s'échappent à grand peine, et cherchent un refuge à l'Assemblée.
Trois jours plus tard, la famille Royale est enfermée au Temple. Et bientôt, la Guillotine fera son oeuvre.
Les nouvelles inquiétantes venues de la frontière dans les derniers jours d'Août ajoutaient à l'effervescence provoquée par la prise des Tuileries et par l'internement de la famille Royale à la prison du Temple.
Le 2 Septembre, le canon d'alarme tonna au Pont-Neuf. Le drapeau noir flottait à l'Hôtel-de-Ville, et le tocsin sonnait à toutes les églises.
Dans l'après-midi, les massacres commencèrent à l'Abbaye, aux Carmes, dans les autres prisons. A La Force, le sang ne coule qu'à deux heures du matin.

Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Prison10

D'où venait le mot d'ordre? Aujourd'hui, les historiens sont fixés : le massacre fut, sinon organisé, du moins proposé par la Commune insurrectionnelle, installée à l'Hôtel-de-Ville.
D'ailleurs, il faut le dire, pour l'oeuvre du sang, pour cette effroyable boucherie qui, pendant cinq jours, terrifiait Paris, on estime que cent-cinquante égorgeurs seulement s'employèrent et suffirent à la besogne. Ils furent cent-cinquante pour tuer seize-cents. Cela fait une moyenne de onze victimes par massacreur ? Mais, sans nul doute, il y eut des héros qui dépassèrent de beaucoup la moyenne.
Thibaudière, enfermé le 25 Août à La Force, occupait, avec cinq autres détenus, une chambre donnant sur la cour.

De sinistres rumeurs circulaient parmi les prisonniers depuis les derniers jours d'Août.
Le 1er Septembre, des rassemblements tumultueux remplissaient de bruit, de cris sauvages, la rue du Roi-de-Sicile, la rue des Ballets, tout le quartier Saint-Antoine.
Et, enfin, le 2 Septembre, un peu après minuit, l'une après l'autre, les chambres de La Force furent envahies par des groupes d'hommes, armés de piques, de sabres, quelques uns même n'ayant pour toute arme que des trtiques d'assommeurs.
Ces hommes, la plupart ivres, poussaient devant eux les malheureux détenus jusqu'à la petite salle du greffe où siégeait une sorte de juge, avec quatre ou six assesseurs, formant le tribunal dit populaire.

Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Interr10

Lecture de la mention du registre d'écrou, interrogatoire de quelques minutes, et l'arrêt était rendu. “Conduisez monsieur à l'Abbaye”, cela voulait dire : “Assommez-le.”
Si le détenu était jugé innocent, le président lui donnait l'accolade, et deux hommes en armes conduisaient la personne libérée à travers la foule qui criait : “Vive la nation !”
Dans la matinée du 2 Septembre, un monceau de cadavres, nus pour la plupart, couverts de boue et de sang, plusieurs affreusement mutilés, encombrait la rue du Roi-de-Sicile et la rue des Ballets.

La cellule où, sous d'énormes verrous, étaient enfermés Thibaudière et ses cinq co-détenus, ne fut visitée par les escouades armées que le 3 Septembre, sur les neuf heures du matin.

(à suivre)
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MessageSujet: Re: Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader   Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Icon_minitimeSam 14 Avr - 10:48

Chacun des prisonniers savait ce qui l'attendait ; car les mises en liberté étaient rares. Ce qui effrayait ces malheureux, c'était l'horreur du supplice. Un des hommes, qui sortirent vivants de ces fatales journées, a raconté que le sujet de leurs entretiens, pendant les dernières heures qui leur étaient comptées, consistait dans l'unique question de savoir quelle posture était la plus avantageuse pour se présenter aux égorgeurs. Ceux qui, pour éviter les premiers coups, essayaient d'étendre les bras en avant, risquaient de souffrir beaucoup plus que ceux qui marchaient à la mort sans gestes inutiles.

Les prisonniers étaient d'ailleurs tenus au courant de tout ce qui se passait au tribunal et dans la rue, soit par les guichetiers, soit par les gardes armés, chargés de mener les victimes à l'abattoir.
De plus, les cris des malheureux assommés à coups de bûches, percés de coups de piques, ou déchiquetés par le sabre, arrivaient jusqu'aux prisonniers, dont toutes les fenêtres grillées étaient ouvertes.

Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Massac10

Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Massac11


Dans la nuit du 2 au 3 Septembre, Thibaudière, assis ou plutôt affaissé sur le bord d'un grabat, gémissait, la tête dans les mains ; et un mot, toujours le même, revenait sur ses lèvres : “Un prêtre, disait-il, un prêtre à qui je puisse parler, pour mourir moins malheureux !”
Et, dans la nuit claire de Septembre, quelqu'un se glissa près de lui, et dit à son oreille : “Je suis celui dont vous avez besoin pour mourir. On ignore, au greffe, que je suis prêtre, et ce n'est pas comme tel que j'ai été arrêté. Causons donc ensemble, nous qui, ensemble, allons mourir tout à l'heure.”
Thibaudière s'était levé, pressant dans ses mains tremblantes de vieillard, les mains robustes que lui tendait son compagnon de cellule ; et l'attirant vers une des deux fenêtres ouvertes, éclairant le cachot, il lui dit : “Oh ! Merci d'être venu à moi. J'avais besoin d'un ami pour parler à Dieu une dernière fois, pour entrer, plus léger, dans l'éternité.”
Ces deux hommes, à voix basse, s'entretinrent dans la nuit qui, loin d'être silencieuse autour d'eux, était toute pleine de rumeurs du carnage populaire.
Que se dirent-ils, penchés l'un vers l'autre, durant ces heures ?
Ils parlèrent, sans doute, de Dieu et de la mort, de la mort qui n'est qu'une porte ouverte sur une éternité qui commence, mais Thibaudière avait autre chose à dire avant de mourir.
Il avait eu besoin d'un prêtre pour quelque secret dont sa conscience se sentait accablée, et terrible peut-être ; de plus, en trouvant, à l'heure de la mort, ce confident suprême, il était heureux de dévoiler un autre secret, moins grave à coup sûr, mais qu'il tenait à livrer en toute franchise à ce compagnon d'infortune, pour le cas possible où le prêtre serait rendu à la liberté.
Ce secret, il l'avait écrit, pour son beau-frère Cléro, dans la lettre déposée, au dernier moment, entre les mains de sa vieille servante Isabelle. Mais, à présent qu'il n'espérait plus revoir aucun des siens, Thibaudière se reprochait d'avoir fait à sa domestique des recommandations telles, et si pleines de réserve, qu'il était facile de prévoir que ses ordres seraient mal exécutés.
Avec sa vieille tête bretonne, la brave fille à qui Thibaudière avait expressément dit de ne remettre à Cléro ce pli important que le jour où elle serait sûre de sa mort, était de ces servantes irréductibles qui exécutent à la lettre les ordres qu'on leur donne ; elle était aussi de celles qui, dans des temps troublés comme le fut l'étonnante époque révolutionnaire, ne pouvaient admettre la disparition définitive des êtres qui leur étaient chers que sur preuves tangibles, des preuves à la saint Thomas.
Thibaudière restait donc tout plein d'inquiétude, en pensant à la mission confiée à la vieille Isabelle. Et il n'avait pas tort.
Alors, désespéré de tous côtés, trouvant, à cette heure suprême, un prêtre, un ami dont la sincérité ne pouvait être douteuse, au moment même où la mort les attendait tous deux, Thibaudière livra à cet inconnu tout son secret, le secret dont dépendait l'existence de sa fille unique.
Qui sait ? Cet inconnu providentiel à qui il se confiait serait libre, peut-être, dans quelques heures, dans quelques instants.
Il y avait donc une espérance ultime que Thibaudière ne pouvait pas laisser échapper.
Son devoir était de tout dire. Il dit tout.
Avant son départ de Pont-L'Abbé, il avait enfoui sa fortune, la fortune de sa fille, dans un endroit, qu'il désigna, de son manoir de Keravel.
Il donna à son ami, à son confident, qui devenait son exécuteur testamentaire possible, au cas où la liberté lui serait rendue, les détails les plus précis, les plus minutieux. Rien ne fut oublié.
Il s'agissait de plus de sept cent mille livres d'or, en louis et double-louis, enfermés dans deux caisses, simplement recouvertes par deux dalles en pierre, à l'intérieur de la cuisine de Keravel, au pied de l'unique et vaste fenêtre éclairant la pièce.
Le confident de Thibaudière promit, devant Dieu, s'il sortait vivant des cachots de La Force, de remettre cette fortune à la fille de son compagnon de captivité. Thibaudière, d'ailleurs, autorisait le prêtre à puiser dans le trésor retrouvé popur ses besoins personnels, au milieu de la crise effoyable que traversait la France.

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MessageSujet: Re: Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader   Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Icon_minitimeMar 17 Avr - 5:29

Cela fait, le malheureux intendant des Penthièvre, moins inquiet pour l'avenir de sa fille, et plus calme en face de Dieu, qu'il allait affronter tout-à-l'heure, attendit les exécuteurs.
Il n'avait rien à attendre de la justice des hommes, si le mot justice pouvait s'appliquer au drame sinistre qui, depuis d'éternelles heures, se continuait dans la salle du greffe de La Force, à deux pas du guichet fatal qui conduisait à la rue ci-devant Roi-de-Sicile, devenue la rue des Droits-de-l'Homme.
Ceux-là, seuls, qui ont connu les affres de la guillotine en 1793, surtout en Prairial et Messidor 1794, ceux-là seuls ont éprouvé l'épouvantable et spéciale angoisse d'hommes, de femmes, qui, pleins de santé pour la plupart, et à qui l'avenir réservait plutôt des sourires, se sont vus précipiter devant les bourreaux de la justice populaire, et qui, condamnés en quelques instants, comparaissaient quelques instants après, devant le tribunal de Dieu.
Ce fut surtout le cas pour les victimes des massacres de Septembre.
Et ces hideurs, qui sont la honte de l'humanité, trouvent cependant des Apologistes qui, hélas, sont tout disposés, trop souvent, à devenir des imitateurs.

Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Les_se10

IV

Vers neuf heures du matin, le 3 Septembre, deux des malheureux détenus dans le même cachot que Thibaudière avaient comparu devant le redoutable tribunal ; et il semblait aux quatre autres prisonniers avoir entendu les cris des deux victimes qu'on massacrait dans la rue.
Quel espoir pouvait-il leur rester ? De minute en minute, l'épouvante qui leur étreignait le coeur augmentait : leur tour allait venir d'affronter la justice inexorable du président Lhullier ou du président Chepy.
Car Lhullier et Chepy se succédaient au fauteuil, ou plutôt sur la chaise de paille devant laquelle défilaient, l'un après l'autre, les suspects écoués à La Force.
Quand Lhullier sentait le besoin d'embrasser sa femme et ses enfants, ou bien quand, après de longues heures de bonne et fructueuse besogne, un repas appétissant, arrosé de vin généreux, l'appelait à réparer ses forces, dépensées au service du peuple, Chepy prenait sa place, et la justice, dans son oeuvre expéditive, ne chômait pas.
C'est qu'elle ne chômait pas non plus, la foule hurlante des assommeurs, qui attendait au guichet de La Force.
Il n'aurait pas fallu lasser sa patience ; car, après tant d'heures de carnage, son ivresse ne faisait qu'augmenter. Ces cannibales avaient littéralement faim de chair humaine, et soif de sang.
Des témoins non suspects ont rapporté avoir vu les égorgeurs de la rue des Droits-de-l'Homme tremper leur pain dans le sang des victimes du 3 Septembre.
Eh bien, malgré les apparences, il faut le dire : tout n'était pas perdu, tout espoir n'était pas aboli avec des hommes, avec des tigres comme Lhullier et Chepy.
Comme Maillard à l'Abbaye, Lhullier et Chepy faisaient grâce !
Car les témoignages sont là, signés du nom de Weber, le frère de lait de Marie-Antoinette, signés des noms – illustres à dater de ce jour – de Pauline de Tourzel et de sa mère.
Et d'autres, avec eux, furent rendus à la liberté. Il y avait là, ceci est de l'histoire, il y avait là, parmi les juges de cet étrange tribunal, et, au dehors, dans les rangs de cette foule qui, toute, n'était pas ivre de sang, des hommes de coeur, de braves gens qui, au péril de leur propre vie, réussirent à sauver bien des victimes.
Et Maillard lui-même, l'épouvantable héros qui présida aux massacres de l'Abbaye, Maillard qui mourut deux ans après, a pu dire que sans lui, le nombre des victimes eut été plus grand encore ; et qu'il n'avait accepté, recherché les fonctions de président que pour sauver le plus d'innocents possibles !
Etrange époque que celle où, abîmés dans nos réflexions, nous nous demandons aujourd'hui si Maillard le Septembriseur ne mérite pas un peu de notre indulgence et de notre pitié !
Lhullier et Chepy, eux-mêmes, nous laissent hésitants.
Car, eux aussi, ont arraché à la mort des victimes toutes désignées aux fureurs populaires.
Par quel miracle, en effet, Weber, valet de chambre de la Reine, frère de lait de la Reine, Weber qui, devant Lhullier, au Tribunal de La Force, à deux pas des massacreurs, avouait avoir combattu pour le Roi au 10 Août, par quel miracle Weber fut-il acquitté par Lhullier dont il reçut l'accolade ?
Et madame de Tourzel, la gouvernante des Enfants du Roi, celle-là même que le voyage de Varennes signalait depuis quatorze mois aux vengeances jacobines, comment put-elle trouver grâce devant les justiciers de la Force ?

Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Paulin10

Et bien d'autres, avec elles, sortirent vivants, portés comme en triomphe, à travers les rangs de la foule des égorgeurs qui, depuis deux jours, hurlaient autour des guichets de La Force.
Dante Alighieri avait buriné sur les Portes de l'Enfer la formule la plus terrible qui puisse épouvanter le coeur humain : “ Ici, laissez toute espérance !”
Cette formule n'était pas faite pour La Force, ni pour l'Abbaye. Les Maillard, les Lhullier, les Chepy étaient accessibles à la Pitié.

(à suivre)
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MessageSujet: Re: Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader   Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Icon_minitimeJeu 19 Avr - 6:37

Vers midi, Thibaudière et ses trois autres co-détenus furent, à coups de crosse de fusil, amenés poussés devant le tribunal siégeant au greffe de La Force.
Lhullier présidait.
Le premier des suspects interrogés fut le prêtre qui venait de recevoir la confidence suprême de Thibaudière.
Thibaudière ne savait même pas son nom.
Cet homme pouvait avoir quarante ans. Vêtu modestement, à la mode des petits bourgeois d'alors, de taille moyenne, mais extrêmement vigoureux, c'eut été un personnage plutôt quelconque, s'il n'avait pas eu une physionomie à part, qui pouvait faire dire de lui que c'était un héros ou un malandrin.
La face, en effet, était de celles qui retiennent le regard. Elle était superbe, d'expression, ou bien, elle était terrible. L'homme qui portait ce masque devait être capable de grandes choses, peut-être bien de grands crimes.
Thibaudière, qui regardait cet homme comme un ami providentiel, allait être bientôt éclairé.
Une voix appela, très haut, dans le silence relatif de la salle du greffe, où siégeait Lhullier :
“Sigismond Muller !”
L'ami de Thibaudière s'avança, et, d'une voix forte, répondit : “C'est moi.”
Comme nous l'avons dit, tout était sommaire, dans la procédure de ces tribunaux de hasard.
Deux lignes inscrites au registre d'écrou, à l'entrée de chaque prisonnier, constituaient à peu près le dossier de ces malheureux.
D'autant plus que la plupart d'entre eux avaient été incarcérés depuis huit jours à peine.
Le président Lhullier se pencha sur le registre d'écrou, et lut les lignes suivantes :
“Sigismond Muller, se disant sujet suisse, arrêté le 22 Août rue Saint-Antoine, à onze heures de nuit, pour vol et tentative de meurtre, sur la personne du sieur Pasquier, horloger dite rue Saint-Antoine, n°185.”
Après avoir lu, Lhullier releva la tête, et dit simplement :
“Cette affaire ne nous regarde pas. Ce criminel, surpris en flagrant délit de meurtre, relève de la justice ordinaire, et non de celle du peuple. Qu'on le réintègre sous les verrous.”
Muller disparut, escorté de deux hommes armés et du geolier Le Baut, portier de la prison.
Thibaudière, en voyant cet homme passer à deux pas de lui, sinon libre, du moins délivré des affres d'une agonie dont lui-même sentait qu'il allait mourir, Thibaudière, trahi, à la dernière minute par ce criminel à qui il s'était livré tout entier, leva les yeux vers la voûte sinistre du greffe, et murmura : “O mon Dieu, ayez pitié de ma fille !”
Quelques instants après, Thibaudière comparaissait devant Lhullier.
“Arrêté, le 25 Août, dans la ci-devant Roi-de-Sicile, comme il interrogeait la petite fille de Le Baut, geôlier de La Force, Thibaudière avait été écroué et maintenu en arrestation par ordre du Procureur de la Commune. On avait trouvé sur lui, un document aui prouvait sa complicité dans les agissements de la famille royale, surtout à propos du 10 Août.”
Thibaudière avoua, d'ailleurs, qu'il avait été, durant plus de trente ans, intendant de la famille de Penthièvre, et, par conséquent, tout dévoué à la princesse de Lamballe.
L'interrogatoire dura trois minutes. C'était une affaire des plus simples, surtout dès qu'il s'agissait d'un complice des conspirateurs du 10 Août.
“Conduisez monsieur à l'Abbaye !”
Un instant après, Thibaudière succombait sous les coups de pique et de sabre des exécuteurs payés par la Commune de Paris.

Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Massac12

Ce jour-là même, à midi et demi, c'est-à-dire à la même heure que Thibaudière, la princesses de Lamballe, innocente et douce créature, s'il en fut une, était massacrée, à son tour, par les septembriseurs de La Force.
Ceci est peut-être l'épisode le plus criminel, le plus odieux, le plus répugnant de la Révolution.

Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Meurtr11

La foule, - une foule où il y avait beaucoup de femmes, de jeunes filles, d'enfants ! - se jeta sur le cadavre de la malheureuse.
Mise à nu complètement, on lui coupa la tête, qui fut portée, au bout d'une pique, sous les fenêtres du Temple, pour être bien vue par la reine Marie-Antoinette.
C'était peu de lui trancher la tête. Le reste ne s'écrit pas dans les colonnes d'un journal.
Lisez ces choses – qui semblent incroyables – dans Michelet, un Apologiste, lui aussi, des hommes et des choses de la Révolution.

V

Muller avait été réintégré dans une des chambres-cachots de La Force. Il avait échappé à la justice sommaire du peuple, n'étant qu'un vulgaire assassin.
Six semaines après, il comparaissait devant le tribunal ordinaire, qui le condamnait à la peine relativement minime de quatre années d'emprisonnement, la tentative de meurtre sur un citoyen français par un étranger, ou soi-disant tel, n'ayant pas eu de suites graves.

(à suivre)
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MessageSujet: Re: Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader   Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Icon_minitimeDim 22 Avr - 11:12

Muller, cependant, durant cette captivité de quatre ans, se rongeait les poings, hanté, jour et nuit, par cette obsédante vision de sept-cent mille livres d'or, qui, enfouis, dans un manoir bas-breton, l'attendaient, pour faire de lui, non plus un aventurier digne de la potence, mais un personnage appelé, comme tant d'autres intrigants à cette époque extraordinaire, à s'asseoir, audacieux convive, au banquet de la vie nouvelle.

Ces quatre années furent, pour ce bandit affamé de luxure, et pressé de vivre, quatre siècles d'impatience et de rage.
Malgré son génie infernal, rompu à tous les expédients, Muller ne parvint pas à tromper la vigilance de ses geôliers, dans les différentes prisons où l'on promena l'ennui de cet intéressant criminel.
Il possédait toutes les ressources, fors la meilleure, l'argent.
Il mit, cependant, à profit les loisirs prolongés de sa captivité pour étudier avec attention la carte du pays inconnu, que les confidences du malheureux Thibaudière laissaient apparaître à ses yeux comme la terre promise de toutes les joies, la Bretagne !
Il apprit d'avance à connaître la situation, la géographie, les ressources, les routes de l'Eden vers lequel, à travers les barreaux de sa prison, son imagination ardente voltigeait à grands coups d'aile, à toutes les heures du jour et de la nuit.
Et mille pensées se heurtaient dans ce cerveau tourmenté, dont la plus inquiétante était celle de savoir si le trésor confié à sa piété, - à son honneur – n'était pas, depuis longtemps, devenu la proie de quelque ravisseur, servi par le hasard !
Muller, en songeant à cette magnifique fortune remise en dépôt dans ses mains, pour ainsi dire, ne craignait qu'une chose, c'était d'être volé !
Et, à force d'y penser, le mot volé ne lui semblait même pas assez fort ; combien de fois, dans ses insomnies, n'avait-il pas étranglé de ses mains, le criminel, l'infâme criminel qu'il voyait en train de soulever les dalles de la cuisine mystérieuse du manoir de Keravel.

Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Piaces10

Un jour enfin, en Août 1796, ce misérable fut libre.
Il avait trente-cinq ans ; il était robuste ; il était intelligent ; il suait le crime par toutes les pores.
Avoir été privé de la liberté pendant quatre ans, être resté quatre ans sans avoir le plaisir de faire le mal, quelle revanche à prendre !
Ce terrible jouisseur rugissait de rage, en songeant qu'on lui avait fait perdre sottement quatre années de sa vie, de sa vie à lui, si pleine de promesses !
Mais le voici libre, sur le pavé de Paris ; le voici libre sur les grands chemins d'une France agitée, bouleversée par la plus étonnante des révolutions historiques : on n'aurait rien perdu pour attendre !
Or, être libre, sans argent, c'est encore la servitude, les chaînes aux mains et aux pieds.
Muller n'avait pas d'inquiétudes à ce sujet : il n'était pas de ceux qui, dans une ville comme Paris, consentent à rester vingt-quatre heures les poches vides. Les poches des autres ne sont-elles pas là ?
Quelques heures de travail suffirent à Muller pour posséder la somme qui lui permettait d'entreprendre le voyage lointain de la Basse-Bretagne.
Muller ne s'attarda pas à Paris.
L'argent, pourtant, ne suffiasait pas pour un séjour plus ou moins prolongé dans un pays où l'on pouvait passer pour suspect, à une époque où toutes les passions, encore déchaînées, justifiaient toutes les inquiétudes.
Pour se mouvoir à l'aise dans ce milieu tout nouveau et, disait-on, à demi-barbare, pour vivre des semaines et des mois en Basse-Bretagne, il fallait un nom et des papiers.
Muller changea de nom, et trouva des papiers.

Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Dilige10

La voiture publique, qui l'emportait vers Pont-l'Abbé, avait traversé Saumur depuis plusieurs jours, quand un batelier du pays retira de la Loire le corps d'un noyé.
Le cadavre était sans vêtements. Le noyé ne fut reconnu par personne. On l'enterra et l'on n'y pensa plus.
Muller, seul, aurait pu dire qui était cet inconnu.
Il s'appelait Trublot, commissaire-pourvoyeur des guerres, envoyé en mission dans l'Ouest. Ses papiers, à celui-là, étaient en règle. Ils passèrent de sa poche dans celle de Muller, qui continua son voyage sous le nom de Trublot.
Muller était habitué aux changements de noms et de costumes. Son métier de bandit l'y obligeait. Ce fut ici, d'ailleurs, le dernier de ses avatars.
Trublot avait eu la malchance de voyager en compagnie d'un homme comme Muller. Muller, ayant besoin de changer de peau, s'était débarassé de son compagnon de route ; et c'est ainsi que vers la fin d'Août 1796, un commissaire des guerres du nom de Trublot descendait à Pont-l'Abbé, à l'auberge du Cheval blanc, vis-à-vis du portail de la vieille église paroissiale.

VI

Muller-Trublot avait hâte, évidemment, de savoir à quoi s'en tenir sur le manoir de Keravel, sur son possesseur actuel, sur l'état des lieux, après un laps de temps relativement considérable depuis la mort de Thibaudière.

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MessageSujet: Re: Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader   Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Icon_minitimeMer 25 Avr - 6:19

Une seule chose, d'ailleurs, l'inquétait : le trésor de Thibaudière était-il toujours là ?
Malgré son impatience de savoir, Muller était obligé à la plus vulgaire prudence. Il était trop intelligent pour compromettre une si bonne cause, un si magnifique avenir.
Cependant, dès le lendemain de son arrivée, il apprit, à l'auberge du Cheval blanc, que le manoir de Keravel, ayant été abandonné par le sieur de Thibaudière, celui-ci, n'ayant pas reparu depuis 1792, avait été considéré comme émigré, et ses biens vendus nationalement.
Thibaudière avait été massacré à La Force, le 3 Septembre 1792. Mais nul bruit de sa mort n'était parvenu à Pont-l'Abbé.
Thibaudière était simplement un émigré, et fut traité comme tel.
Le manoir de Keravel avait été vendu ; et la pauvre petite orpheline, laissée à la garde de sa vieille servante, chassée avec elle de la maison paternelle, avait, du moins, trouvé un asile dans celle du bon oncle Cléro.
Malgré l'angoisse, chaque jour croissante, que causait à Cléro l'absence prolongée et le silence trop significatif du malheureux Thibaudière, ce fut une joie pour le brave homme, et pour son excellente femme, de recevoir dans leur maison sans enfants, la mignonne orpheline, avec sa fidèle domestique.

Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Enfant10

Cléro et sa femme avaient trop bon coeur pour songer à séparer ces deux êtres habitués l'un à l'autre ; et la vieille Isabelle devint du même coup la servante des Cléro.
Muller apprit tout cela, sans s'intéresser, d'ailleurs, à la fille de Thibaudière.
Ce qui l'intéressait bien davantage, c'était de savoir ce qu'avait bien pu devenir le manoir de Keravel, aux mains de son nouvel acquéreur.
Il lui fut très facile d'apprendre que Keravel avait été acheté, trois ans auparavant, en 1793, par un individu tout-à-fait étranger au pays, du nom de Bousquet.
Qui, ce Bousquet ? Ma foi, on n'était pas renseigné sur lui, pour une bonne raison : on ne le voyait jamais à la ville ; on ne savait rien de lui, quiqu'il habitât le pays depuis trois ans.
Un vrai loup, qu'on voyait rôder, de temps à autre, sur les routes solitaires qui se croisaient autour de Keravel. Taciturne, l'oeil inquiet et méchant, il faisait peur. Et, d'aussi loin qu'on le voyait, d'instinct, on le fuyait.
Comment, et pourquoi avait-il acheté le domaine de Keravel ?
Ce Bousquet, qui se disait du Havre, mais dont le nom méridional et l'accent dénonciateur indiquaient une origine marseillaise quelconque, avait débarqué, un jour, d'un bâtiment qui s'était attardé deux ou trois mois dans le port de Pont-l'Abbé, et dont il était le capitaine.

Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Navire10

Le navire, vendu par lui difficilement, car il était vieux et fort désemparé, était reparti pour une destination inconnue, avec ses quatre hommes d'équipage.
Bousquet, pendant ses longues semaines de relâche, avait fait l'acquisition de Keravel. Cet achat, suivi de son installation au manoir, l'avait, sans doute, obligé à se défaire de son bâtiment.
Peu de semaines après, une femme, accompagnée d'une fillette de dix ans, arrivait à Keravel, et s'installait au manoir avec des airs de servante-maîtresse, qui pouvaient laisser des doutes sur sa situation réelle au foyer de Bousquet.
En plus de cette femme-domestique ou épouse, Bousquet prit à son service, pour la culture des terres et l'entretien du jardin potager, un homme du pays, ne sachant d'ailleurs que le breton, un brave homme de cinquante ans à peu près, très vigoureux encore, et d'une fidélité sûre, même vis-à-vis d'un maître comme pouvait l'être Bousquet.
Bousquet le paya bien, le nourrit et le coucha au manoir.
Ce que ne sut pas Muller, c'est que, sur ce vieux navire vendu à vil prix par Bousquet, celui-ci s'était enrichi à faire tous les métiers, surtout la plus malpropres, depuis la contrebande jusqu'à la traite des noirs.
Bousquet avait donc les meilleures raisons du monde pour s'isoler, pour se cacher, pour s'arranger, dans un domaine bien à lui, une existence tranquille, loin des orages des mers barbaresques, avec l'unique souci, désormais, de n'attirer l'attention de qui que ce fût, surtout des autorités locales.
Muller, plus ou moins renseigné sur Bousquet, se préoccupait maintenant des moyens les plus sûrs à employer pour pénétrer dans l'intérieur du manoir, afin de savoir si l'état des lieux n'avait pas changé depuis le départ de Thibaudière, depuis surtout l'intrusion d'un nouveau propriétaire.
Pénétrer chez Bousquet ? Ce ne devait pas être chose facile.
Muller s'en doutait bien.
Mais Muller était d'une trempe toute spéciale, de cette trempe d'hommes résolus jusqu'à la férocité, que rien n'arrête dans l'exécution des pires desseins, ne s'inquiétant jamais de ces minces obstacles qu'avec nos préjugés, nous appelons scrupule et sens moral.

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MessageSujet: Re: Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader   Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Icon_minitimeLun 30 Avr - 5:24

Muller possédait, au manoir de Keravel, un trésor de sept-cent mille livres d'or, aux effigies de Louis XV et Louis XVI. Tant pis pour qui se trouverait sur sa route, maintenant que le jour était venu – après quatre longues années d'attente – de mettre la main sur cette magnifique fortune !

Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Louis_11

Dès le lendemain de son arrivée, délibérément, Muller franchit la distance qui séparait Pont-l'Abbé du domaine de Bousquet, franchit le seuil de la maison, et entra.
Suivant la coutume bretonne, au manoir de Keravel, comme dans toutes nos fermes rustiques, la porte était grande ouverte sur l'immense cuisine, où se concentre toute l'existence familiale, celle des maîtres, comme celle des domestiques.

Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Manoir10

Muller, sur le seuil de la cuisine, fit un pas pour entrer.
D'un bond, avec une sorte de rugissement rauque et sourd, Bousquet, se dressant du fond de l'âtre où il était assis, arriva sur lui, comme pour le chasser.
Muller ne broncha pas. Il mit la main à son chapeau girondin, et, tranquillement, dit à Bousquet :
“ Citoyen – on disait encore citoyen, en 1796, - citoyen, je suis chargé par un de mes amis, d'une commission pour vous ; et j'ai fait, tout exprès, le voyage en Basse-Bretagne, pour vous demander s'il vous plairait de céder le domaine que vous avez acheté, il y a trois ans. ”
Tout en disant cela, Muller, sans faire la moindre attention aux airs menaçants de Bousquet, avait trouvé le moyen de pénétrer jusqu'au milieu de la cuisine.
“ Monsieur, lui dit Bousquet, à demi décontenancé par le sans-gêne de l'intrus, je n'ai que faire de vos amais, et mon bien n'est pas à vendre.”
“ Parbleu, continua l'imperturbable Muller, avec un geste large de grand seigneur, vous avez choisi là un aimable logis. Il doit faire bon vivre dans cette maison d'aristocrate ; et je ne vous blâme pas de vouloir la garder pour vous ...
“ Ta, ta, reprit le marchand de nègres, qui avait retrouvé son assurance habituelle, assez causé, n'est-ce pas ? Vous n'avez rien à faire ici. Allez-vous en !
“ Que ce sont là, Monsieur, de vilaines paroles, et, de plus, bien inutiles, dit Muller, qui, un sourire gracieux sur les lèvres, s'inclinait en jouant avec les grosses breloques de son gilet ; inutiles, car j'ai coutume de n'obtempérer aux ordres qu'on me donne que lorsqu'ils sont formulés poliment. Et, surtout, continua-t-il en posant fortement sa main sur le bras de son terrible interlocuteur, et le regardant de très près, les yeux dans les yeux, ne soyons pas assez sots pour nous fâcher. Si vous saviez qui je suis, citoyen Bousquet, vous parleriez sur un autre ton. Croyez-moi, mon ami, nous aurons l'occasion de nous revoir ... Pour aujourd'hui, je vous quitte : je vous vois mal disposé ; et j'ai affaire ailleurs ...
“ Monsieur, dit Bousquet, subitement radouci, asseyez-vous ...”
Bousquet, nous l'avons dit, avait de multiples raisons d'avoir peur de “l'autorité”, de toutes les autorités. L'aisance singulière avec laquelle Muller se trouvait dans cette cuisine, qui semblait lui appartenir, en imposait au contrebandier ; Muller était, évidemment, quelqu'un de très fort, possesseur, peut-être, de secrets désagréables à Bousquet. Bousquet fut prudent, et, avec une affreuse grimace qui pouvait passer pour gracieuse, il répéta : “asseyez-vous”.
“ Non, mon ami, dit Muller, en marchant de long en large à travers l'immense cuisine. Pour aujourd'hui, je suis pressé. Mais je reviendrai, sans tarder ...”

Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader La_cui10

Et, se rapprochant de l'unique fenêtre, devant laquelle, toujours à la mode bretonne, était placée la table, avec un lit-clos de chaque côté, de sorte que l'embrasure de la croisée semblait comme une salle à manger, Muller se pencha, regardant au dehors.
“ Belle vue que vous avez là, dit-il ; vrai de vrai, le site est magnifique, et la maison agréable, quoique un peu rustique et paysanne.”
Cinq minutes après, Muller, conduit par Bousquet, avait fait le tour de la propriété, et connaissait l'immeuble à fond.
“ Allons, dit Muller en quittant le propriétaire du manoir, je retourne à Pont-l'Abbé, où m'attend une nombreuse correspondance. Je ne vous dis pas adieu, et je reviendrai au premier jour. Si vous avez affaire à Pont-l'Abbé, venez donc ce soir ou demain, partager mon repas à l'auberge du “Cheval blanc”. Parbleu, j'ai couru le monde, et je n'ai jamais mangé à pareille table. Gibier, poisson, et vin, tout est pur délices. Je vous attendrai ce soir, voulez-vous ? Demandez le citoyen Trublot, commissaire des guerres ...”
Bousquet, conquis en apparence, remercia aimablement, et refusa.
Les deux forbans se quittèrent, presque des amis, et Muller reprit la route de la ville.
“ La promenade, grommelait-il en chemin, n'aura pas été tout-à-fait inutile. La maison est telle que le jour où Thibaudière l'a quittée. Elle n'a fait que changer de rustre. J'ai parfaitement retrouvé les deux pierres au bout de la table, sous la fenêtre. Il n'existe d'ailleurs que ces deux dalles, puisque le sol de la cuisine est, partout ailleurs, en terre battue ... Le diable est que tout ce monde-là vit, mange, et couche dans cette pièce malpropre, encombrée de lits ...”

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MessageSujet: Re: Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader   Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Icon_minitimeJeu 3 Mai - 10:45

Muller, la tête baissée, comme abîmé dans ses réflexions, marchait, d'un pas saccadé, parlant toujours entre ses dents :
“Oui, se disait-il à lui-même, ces animaux-là vivent tous là-dedans, la nuit comme le jour. Sur deux pièces au rez-de-chaussée, la grande salle ne sert plus à rien, qu'à mettre des fruits, pêle-mêle avec des instruments de jardinage. Les deux pièces de l'étage sont vides, puisque les planchers sont pourris, avec de grands trous par endroits. Ils sont tous parqués dans la cuisine. Il est vrai qu'elle est grande comme une halle ... Le lit du Bousquet est près de la table, contre le foyer ... Le lit du fond, au bout de la .... opposé à la fenêtre, est évidemment occupé par la mère et la fille : j'ai vu la petite fille, montée sur le coffre, au pied de ce lit, qu'elle achevait d'arranger ... Quant au jardinier, il couche dans le lit-clos, vis-à-vis de celui du maître. Ses nippes étaient accrochées sur le côté. Fâcheuse affaire, ceci ! Toute une nichée à étouffer, d'un coup ... Pas impossible, c'est sûr ... mais fâcheuse affaire !...”

VII

Muller, à présent, connaissait la maison, et les êtres.
Il délibéra sur les moyens à employer pour entrer, le plus rapidement possible, en possession de la fortune de Thibaudière.
Le trésor de Keravel était gardé par un dragon d'une espèce particulière, capable d'arrêter les timides; ou même des hommes d'une trempe commune.
Mais Bousquet, malgré ses épaules d'Hercule, et sa poigne de forban, habituée à fouailler des nègres, n'était pas de force à faire reculer Muller.

Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Hommes12

Cependant, la délibération fut longue dans l'esprit de Muller, ce qui prouvait que Bousquet n'était pas une négligeable unité. La conscience de Muller ne fut pour rien, d'ailleurs, dans ce débat.
Agir résolument, faire vite, et réussir : les moyens importaient peu.
Tuer les quatre personnes qui habitaient le manoir de Keravel, lui sembla, tout d'abord, une nécessité inéluctable. Pourtant, après mûre réflexion, Muller y renonça, non par pitié, mais simplement, parce que la chose ne se passerait pas, sans quelque bruit. Le manoir de Keravel était isolé, il est vrai ; mais la grand-route était tout proche, et le hasard pouvait amener sur ce point des témoins inattendus.
Un autre plan s'imposait, plus simple, moins dangereux, quoique difficile encore.
Sa décision prise, Muller se mit à l'oeuvre immédiatement.
Il reprit le chemin de Keravel, et, seul dans la maison, avec Bousquet, pendant que la ménagère et sa fille travaillaient au fond de la cour, Muller lui dit, sans autre préambule :
“Monsieur Bousquet, hier matin, à ma première visite ici, vous avez dû comprendre que j'ai des confidences à vous faire. Il s'agit de choses très graves : écoutez-moi.
“Je suis prêtre, et, comme tel, dès les premiers mois de 1791, j'ai quitté la France, et vécu à l'étranger. Il y a quelques semaines, appelé au chevet d'un malade, j'ai reçu de lui une mission à remplir, pour laquelle je suis ici à cette heure.
“L'homme qui avait placé en moi toute sa confiance, est mort entre mes bras peu de jours après ; et la mission que j'ai dû accepter, non sans hésitation, est telle que, dès le lendemain du jour où morut mon pénitent, je me suis mis en route pour exécuter pieusement ses dernières volontés.
“Sur ses indications, qui sont très précises, je trouverai ici, sur le territoire du domaine qui vous appartient aujourd'hui, une somme de plus de cinq cent mille livres d'or, que j'ai la charge de remettre aux mains d'une famille, dont le nom m'a été désigné, et qui ignore, d'ailleurs, l'existence de cette fortune.
“De plus, j'ai les mains libres, et je puis agir à ma guise, comme exécuteur testamentaire. Pour remplir jusqu'au bout ma mission, mon confident m'a autorisé, à l'avance, à user du trésor qu'il me confiait, dans la mesure que je jugerais indispensable.
“J'estime donc que quoique vous n'ayez aucun droit sur cette fortune, vous mériteriez d'être récompensé, au cas où vous m'aideriez à remplir mon devoir, dans cette grave et solennelle circonsatne.
“Il s'agit d'exécuter les volontés d'un mourant. Il s'agit de rendre à une honorable famille le bien qui lui appartient.
“Si vous me fournissez, loyalement, les moyens de retrouver la somme cachée ici, vous aurez cent mille livres pour vous. J'attends votre décision ...
- “Pardi, monsieur le prêtre, dit Bousquet, ceci demande réflexion. Vous m'accorderez bien quelque délai pour vous répondre ...
- “Sans doute, reprit Muller, dont l'attitude conciliante et digne avait frappé Bousquet lui-même ; mais les moments sont précieux, et je n'ai pas une minute à perdre. Vous devez le sentir : mes paroles sont loyales, comme sont pures mes intentions. L'offre que je viens de vous faire est toute simple : je vous demande, au nom d'un mourant, un important service ; et la récompense n'est pas à dédaigner. Vous acceptez, n'est-ce-pas ?

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MessageSujet: Re: Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader   Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Icon_minitimeSam 5 Mai - 7:25

- “En somme, reprit Bousquet, quel sera mon rôle dans tout ceci ? Que demandez-vous de moi ? Qu'aurai-je à faire ?
- “Rien, répondit Muller, simplement. J'agirai seul, et vous regarderez. Mais je me trompe : vous aurez quelque chose à faire, de très essentiel. Il est de toute nécessité que nous soyons seuls ici. Trouvez le moyen de congédier vos domestiques pour quelques heures : nous ne pouvons pas mettre tout ce monde dans notre secret.
- “Hum ! dit Bousquet, je ne vous connais pas, que diable ! Ce que vous me demandez là m'inquiète un peu. Je suis un brave homme, moi ! un homme tranquille et qui n'aime pas le bruit. Et, pour vous dire la vérité, je me trouve assez riche pour la vie que je mène ici. Que ferais-je avec tant d'argent ?
- “Le temps presse, vous dis-je, continua Muller, qui n'était pas dupe des beaux sentiments étalés par Bousquet. Si vous ne voulez pas m'aider à remplir mon devoir, eh bien, je m'en retournerai à l'étranger, où tant d'intérêts m'appellent pour quelque temps encore. Agissons tout de suite, ou rompons là. Ce sera comme vous voudrez.
- “Et si je refusais, que feriez-vous ? dit Bousquet, qui voulait, autant que possible, ne pas se livrer trop vite.
- “Je partirais, répondit Muller, avec un air tranquille.
- “Vous partiriez ? reprit Bousquet. Vous me laisseriez, seul et maître ici, libre de chercher un trésor, que je finirais bien par trouver ?
- “Vous auriez cent bras, lui dit Muller, et cent paire d'yeux à votre service, vous ne trouveriez rien. De ce côté, je suis sans inquiétude. Mais si vous n'acceptez pas mes conditions, je partirais, chagriné, sans doute, d'avoir échoué dans ma mission, persuadé, cependant, que vous ne tarderez pas à revenir à de meilleurs sentiments. Je vous laisserai mon adresse : il vous sera facile de me rappeler, pour l'oeuvre de justice que je dois accomplir. Personnellement, votre refus me serait indifférent : ce trésor n'est nullement à moi ; je le remettrai fidèlement, et tout entier, à la famille de celui qui a fait de moi son confident, et l'exécuteur de sa dernière pensée ...
- “Allons, allons, reprit Bousquet, en tendant la main à Muller, vous êtes un brave homme, et je serais un sauvage de discuter plus longtemps. J'accepte, à l'avance, toutes vos conditions. Parlez, que dois-je faire ? Je suis tout à vos ordres.
- “Eh bien, continua Muller, la chose est très simple. Il faut que nous soyons seuls ici, pendant quelques heures. Fixons à demain notre travail. Pouvez-vous éloigner jusqu'à midi, pour toute la matinée de demain, les trois personnes qui habitent, avec vous, dans cette maison ?
- “Rien de plus facile, répondit Bousquet. C'est, demain, la fête du pays ...
- “Mauvais jour, alors ; les chemins, partout, sont pleins de monde, dit vivement Muller.
- “Après-demain vous plaît-il ? Reprit Bousquet.
- “Après-demain, soit, dit Muller, en se levant. Je serai ici à sept heures du matin. En deux heures, tout au plus, ce sera chose faite. Prenez vos mesures d'ici là, et tenez éloigné votre monde. Au revoir, et merci. Vous m'aidez à remplir mon devoir, monsieur, et vous en serez récompensé : vous serez content de moi.”
Les deux bandits se quittèrent, satisfaits l'un de l'autre, en apparence du moins. Arrivé sur la grand'route, Muller adressa, de loin, à Bousquet, debout sur le seuil du manoir, un geste amical de la main.
« Va donc, imbécile, murmura Bousquet, en répondant à son salut, tu ne sortiras pas vivant d'ici... »
Bousquet eut été bien étonné s'il avait pu entendre ce que Muller se racontait à lui-même, en descendant la pente qui conduisait à la ville : « Cette brute, se disait Muller, a la naïveté de croire que je partagerai avec lui ! Je casserai la tête à ce forban, et tout sera dit . .. »


VIII


Muller avait, à l'avance, tout préparé, tout calculé.
Le travail qu'il avait à faire présentait plus d'une difficulté. Tuer un homme et le faire disparaître, cela n'était rien.
Mais elle était lourde à emporter, la somme qui reposait sous les dalles du manoir de Keravel.
Muller avait résolu la question.
Il s'était, après s'être informé près des gens de son auberge, rendu chez Cléro, le maréchal-vétérinaire.
- Monsieur, lui avait dit Muller, on m'a assuré que je pouvais, en toute confiance, m'adresser à vous ; mais j'aurai surtout besoin de toute la vôtre. Je suis, vous le savez peut-être commissaire pourvoyeur des guerres, chargé d'une mission dans ce pays. Mon service m'oblige à faire, dès
après-demain, un voyage de quinze jours dans toute la partie Sud du département. On m'a dit que vous possédiez un bon cheva l, et une carriole aussi légère que solide. Voudriez-vous me louer l'un et l'autre ?
- Très volontiers, monsieur, répondit Cléro, qui n'avait jamais su dire non à qui que ce fût. Je tiens à mon cheval, comme à la prunelle de mes yeux : c'est la meilleure bêle du pays, un double bidet de Briec, sobre et vigoureux, plein de feu et infatigable, avec cela doux comme un mouton. Je vous le confierai, en vous suppliant de le bien traiter, et d'avoir soin de lui, comme d'un ami ...

(à suivre)
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MessageSujet: Re: Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader   Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Icon_minitimeLun 7 Mai - 6:28

- C'est entendu, reprit Muller, comptez sur moi : j'aime les chevaux autant que vous pouvez les aimer. Estimez , d'ailleurs, votre bête : Je vous la paierai à l'avance...
— Ne parlons pas de cela, dit le bon Cléro, vous me paierez au retour, parbleu ! Et si vous êles content, ce sera un écu par jour.
- Un écu, c'est pour rien, dit Muller en prenant congé. Pour quinze jours de route, ce sera quarante-cinq livres : les voici.
— Au retour, vous dis-je, reprit Cléro. Gardez votre argent, et soignez bien Bijou ; c'est tout ce que je vous demande . .. »
Le surlendemain, à sept heures du matin, Muller descendait de carriole à la porte du manoir de Keravel.
« Nous sommes seuls, lui dit Bousquet, en venant a sa rencontre. Entrez.


IX

Le matin de ce même jour, Cléro s'était décidé à communiquer à sa nièce la nouvelle qu' il avait apprise lui-même la semaine précédente, lors de son dernier voyage à Quimper. Appelé au chef-lieu par le procureur, il avait su du lui, non pas tous les détails, mais, du moins, la date précise de la mort de son beau-frère Thibaudière.
Cléro ne pouvait pas hésiter plus longtemps à dévoiler ce secret à sa nièce, à sa femme, à la vieille Isabelle : car la mort de Thibaudière était connue, déjà, de quelques membres de la municipalité.

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La veille, avait eu lieu la grande fête annuelle de Pont-l'Abbé. Cléro avait voulu laisser passer cette journée, pour ne pas attrister sa famille, surtout sa nièce, Marie, au milieu des réjouissances publiques.
Marie Thibaudière avait, à présent, seize ans accomplis : elle était belle, d'une beauté un peu grave et triste, qui contrastait avec l'éclat de son teint et de sa triomphante jeunesse.
Aimée de tous, la charmante orpheline était adorée dans la maison de son oncle.

Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Imgp8226

Cléro avait donc réuni les siens, et leur avait tout dit, ne gardant pour lui que les détails présumés de l'exécution sommaire de Thibaudière, livré aux fureurs de la populace, le 3 Septembre I 792.
Cette mort, qui remontait à quatre ans, n'avait été connue au greffe du tribunal de Quimper, que par la communication de renseignements recueillis sur les registres d'ér.rou des prisons de Paris, et transmis aux familles intéressées, par l'intermédiaire des greffes, aux chef-lieux des départements.
On comprend la douleur de la jeune fille, en apprenant, d'une façon précise, la mort d'un père qu'à vrai dire, elle n'attendait plus. Cléro el sa femme, depuis longtemps, s'étaient habitués à ne plus compter sur le retour de l'infortuné Thibaudière ; et la jeune fille, depuis longtemps aussi, désespérait avec eux ; mais la vieille domest ique, jusqu'à cette heure, persistait dans son illusion tenace.
Son vieux cœur de bretonne têtue s'était fait comme une religion de cet espoir chaque jour plus vivace dans le retour de son maître.
Cette fois, il fallait bien se rendre : les pièces officielles, apportées de Quimper par Cléro, ne laissaient aucun doute sur la mort de l'intendant des Penthièvre.
Alors, au milieu de ses larmes, on vit la vieille servante monter, sans rien dire, vers la mansarde où elle couchait. Là, près de son lit, dans le vieux coffre où, avec ses bardes, elle enfermait les quelques souvenirs qui lui restaient du maître disparu, la vieille Jabel prit la lettre que lui avait remise Thibaudière, le jour de son dépa rt.
Elle redescendit, toujours en larmes, dans la petite salle du rez-de-chaussée, où se tenait Cléro, assis près de sa nièce.
Isabelle lui remit la lettre de Thibaudière.
Cléro la parcourut rapidement, et, se dressant debout, l'oeil égaré, il jeta un cri :
« Lisez ! Lisez ! dit-il à sa femme et à sa nièce. 0 malheureuse Jabot, pourquoi avez-vous gardé cette lettre si longtemps? Trop tard ! nous sommes trop tard, sans doute !”
Et, sans ajouter une parole, reprenant des mains de sa femme la lettre que celle-ci, avec sa nièce, achevait de lire, Cléro sortit, les traits altérés, et comme hors de lui.
D'instinct, en quittant sa famille, Cléro, d'un pas rapide qu'on ne lui connaissait pas, prit la route de Quimper. Où allait-il ?
A Keravel , évidemment. Mais pourquoi, dans quel but ? Le savait-il lui-même ? La lettre qu' il venait de lire lui apprenait l'existence d'une fortune dont sa nièce était l'unique et légitime propriétaire. Mais était-il opportun d'aller, à cette heure, essayer de pénétrer dans une maison qui, depuis trois ans, avait passé dans les mains d'un étranger, d'un ennemi ?
C'était un mouvement plus qu'irréfléchi, un mouvement de folie qui emportait le vétérinaire vers l'ancienne demeure de Thibaudière. Mais le grand air, sans doute, dans la fraîcheur de cette belle matinée de Septembre, ne tarderait pas à ramener le calme dans son esprit subitement bouleversé.
Comme il sortait de la ville, il dépassa un groupe de genda rmes qui, d'un pas plus tranquille que lui, se rendait à pied au chef-lieu du département.

Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Gendar10

C'étaient trois hommes de la maréchaussée de Pont-l'Abbé appelés, d'urgence, à Quimper. La France, à cette époque, victorieuse au dehors, végétait, pour ainsi dire, dans un perpétuel état d'anarchie.
Le formidable volcan de 93 avait éteint ses flammes : mais tout le sol de la France était encore secoué par les convulsions du monstre, que la moindre étincelle pouvait réveiller et faire rugir.

(A suivre).
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MessageSujet: Re: Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader   Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Icon_minitimeMer 9 Mai - 14:33

L'Ouest, en particulier, était loin d'être pacifié ; il fallait encore bien des années, et beaucoup de victoires au-delà des frontières pour faire oublier les guerres Intérieures.
“Où diable allez-vous donc de ce pas, monsieur Cléro, lui cria un des gendarmes, quand le vétérinaire, qui ne semblait rien voir, les eut dépassés, sans même les saluer.
Cléro, plus qu'absorbé dans l'unique pensée qui l'attirait vers le manoir de Keravel, ne répondit même pas à l'interpellation du gendarme.
Il continua son chemin, sans détourner la tête, sans rien voir, sans rien entendre.
Cependant, par un phénomène que les personnes distraites connaissent, par expérience, Cléro n'avait pas fait cent pas, après avoir dépassé les trois militaires, que les paroles du gendarme “où diable allez-vous ?” lui revinrent à l'esprit, non sans le troubler.
Il sortit comme d'un cauchemar, reprit ses sens, et éprouva quelque confusion d'avoir par son allure, et surtout par son silence, alors qu'on lui adressait amicalement la parole, attiré sur lui l'attention de ces braves gens qui, en somme, étaient ses voisins et ses amis.
Sous cette impression, il ralentit le pas, et se mit à réfléchir sur la série d'actes qu'il venait de commettre, depuis qu'il avait lu la lettre révélatrice de son malheureux beau-frère.
Il s'en voulut d'avoir été si impatient, si peu réfléchi, et, en définitive, si imprudent.
“Le gendarme a raison, se dit-il, où diable vais-je de ce pas? J'ai agi comme un écervelé, comme un enfant. Je m'en retourne à la maison...”
Cette décision prise, Cléro qui.déjà, était parvenu presque au haut de la côte, vis-à-vis de la maison de Keravel, allait faire volte-face, et revenir vers Pont-l'abbé, quand, dans la cour du manoir, il aperçut sa propre carriole, attelée de Bijou.
« Tiens ! exclama-t-il en lui-même, que veut dire ceci ? Il y a un quart d'heure à peine que j'ai quitté le commissaire des guerres, et c'est par Keravel qu'il commence son voyage de quinze jours ? Allons nous informer de plus près ; la présence de mon attelage à Keravel me donne un peu le droit d'y pénétrer . ..”
Deux minutes après, Cléro traversait la cour du manoir et, délibérément, ouvrit la porte donnant sur la cuisine de Bousquet.

X

Comme nous l'avons vu à la fin de l'avant-dernier chapitre, Bousquet avait introduit Muller dans sa maison.
Les deux bandits se trouvaient face à face.
Le choc inéluctable allait se produire, très prompt, et même, selon les probabilités, foudroyant.
L'état d'esprit de ces deux hommes, pourtant, n'était pas le même.
L'avantage, au point de vue de la clarté, de la franchise des décisions à prendre, était tout du côté de Muller.
Muller était parfaitement résolu, dès les premiers instants, à tuer Bousquet, à s'emparer rapidement du trésor des Thibaudière et à s'éloigner, sans perdre une minute, dans la direction de Paris.
Le cheval de Cléro, Muller le savait, était une bête extraordinaire, capable de fournir étape sur étape, sans ralentir, et presque sans souffler. Un peu d'avoine, et de temps à autre, quelques heures de repos ; Muller serait à Paris dans dix jours, dans huit peut-être.
Le programme de Bousquet, quoique très simple aussi et très franc, était, néanmoins, un peu plus compliqué.
Voici pourquoi :
Bousquet ne pouvait pas songer à se défaire de Muller, avant de connaître, d'une façon mathématiquement précise, la place exacte de la somme enfouie quelque part, sur un point quelconque du domaine de Keravel.
Muller n'avait pas de préoccupations de cette espèce ; de là sa supériorité sur Bousquet.
De plus, Bousquet, sans être le moins du monde accessible à la plus élémentaire sentimentalité, n'était pas fixé sur le personnage qu'il avait en face de lui.
Muller était-il un prêtre, comme il l'avait affirmé? Il est certain que la physionomie énigmatique de Muller, la noblesse relative de ses manières, de son élocution, une sorte de sévérité dans le regard et dans le verbe, en avaient, dès la première minute, imposé à Bousquet.
La promesse de cent mille livres, à lui faite par un prêtre, exécuteur testamentaire des dernières volontés d'un gentilhomme, avait paru, tout d' abord, à peu près sincère à l'ancien trafiquant des côtes africaines.
Mais le naturel du bandit avait vite repris le dessus ; le prêtre pouvait bien être un aventurier de la pire espèce ; Bousquet, par prudence, tabla sur cette hypothèse, et fit ses préparatifs en conséquence.
Quand Muller fut entré, Bousquet ne crut pas devoir fermer à clef la porte de la cuisine ; c'eût été une marque trop évidente de défiance vis-à-vis de Muller. Et, de plus, l'ancien marchand de nègres ignorait où l'aurait conduit son compagnon ; tout dépendait de la place où sommeillait le trésor qu'ils allaient se disputer.

(A suivre).
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MessageSujet: Re: Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader   Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Icon_minitimeJeu 10 Mai - 6:26

N'ayant rien à craindre tant qu'il n'aurait pas dévoilé à Bousquet ce secret qui faisait sa force, Muller, quoiqu'il eût hâte d'en finir, sembla prendre son temps, et déambula tranquillement, à travers la maison, visitant la cuisine, la grande salle vide du rez-de-chaussée, gravit l'escalier, explora des yeux, rapidement mais sûrement, tous les recoins du premier étage et du grenier.
En réalité, Muller, voulait s'assurer si Bousquet, pour le dépouiller plus à l'aise, n'avait pas, sous la main, quelque part, un ou plusieurs compagnons prêts à accourir au premier signal.
“ Vous vous étonnez peut-être, dit Muller d'une voix grave et triste, tout en promenant ses pas à travers la maison mystérieuse, vous vous étonnez de me voir procéder, ici, comme à une sorte de visite domiciliaire. La vérité est que la famille à laquelle je m'intéresse, et à laquelle, dans peu de jours, je vais remettre le dépôt qui m'a été confié, sollicite de moi une relation en quelque sorte pieuse de mon pèlerinage ici. Ce manoir appartenait à des ancêtres dont la mémoire est vénérée. Ceux qui restent aujourd'hui de cette famille, dont le sang a coulé sur les échafauds, m'attendent avec impatience pour que je leur parle en détail des lieux qu'ils ne revoiront plus...”
En achevant ces paroles, d'une voix sévère qui troublait un peu Bousquet, sans lui enlever ses défiances, Muller était rentré dans la cuisine.
Bousquet l'avait suivi, très intrigué par cette promenade singulière du haut en bas de la maison. A chaque appartement, dans lequel il pénétrait avec Muller, il se disait:
“ C'est donc ici qu'est le trésor ? Mais, toujours sur ses gardes, il ne perdait pas Muller des yeux : il prêtait une attention ininterrompue à chacun de ses mouvements.
“Eh bien, dit enfin Muller, quand ils eurent pénétré dans la cuisine, agissons maintenant, et ne perdons pas une minute. C'est ici que nous avons à travailler. Et voici, ajouta-t-il, en plongeant la main droite sous le manteau à trois bordures superposées qui recouvrait ses épaules, voici, par écrit, les indications précises qui m'ont élé données pour les recherches que nous avons à faire...”
Mais, au lieu d'un papier que Bousquet s'attendait à voir, Muller, d'un mouvement prompt comme l'éclair, avait saisi, sous son manteau, un pistolet tout armé, qu'il déchargea à bout portant dans la poitrine de Bousquet.
Avec un cri terrible, qui ressemblait à un hurlement de bête fauve, Bousquet tomba sur le dos.
Muller, un poignard au poing, se pencha sur lui pour l'achever ; car le forban, étendu tout de son long, hurlait encore, les yeux agrandis par l'épouvante, et toujours fixés sur Mulle r . ..
Au moment où Muller levait le bras pour frapper d'un coup furieux le propriétaire de Keravel, Bousquet se souleva sur le coude du bras gauche, et de sa main droite armée, comme celle de Muller, d'un pistolet préparé pour un assassinat longuement médité, il fit feu sur Muller.
Atteint en plein front, Muller tomba foudroyé.
A cet instant même, la porte de la cuisine s'ouvrit. Cléro, la face épouvantée, apparut sur le seuil ; et, bravement, il entra. Muller gisait, sans un mouvement. Quant à Bousquet, plus hideux que jamais dans les derniers spasmes de l'agonie, il se traînait sur les deux mains, pour voir de plus près le visage de celui dont il venait de se venger : de sa poitrine débraillée, le sang coulait à flots, sur le sol de terre battue, et du sang aussi, avec de l'écume, filtrant aux deux coins de sa bouche, achevait de donner une expression effrayante à ce visage de damné.
Comme Cléro arrivait tout près de lui, tout disposé à porter secours à cet homme qui respirait encore, Bousquet, satisfait d'avoir vu de ses yeux mourants son ennemi mort, s'affaissa sur ses coudes, et tomba, la face contre terre. Il ne bougea plus.
Cléro, littéralement fou au milieu de cette horrible scène, avec ces deux cadavres sous les yeux, marchait dans le sang . ..
Machinalement, il se pencha sur le corps de Bousquet, qu' il venait de voir expirer ; et, sans se rendre compte de ce qu'il faisait, il prit, dans sa main, le pistolet, encore fumant, qui avait glissé, de la main de Bousquet, sur le sol ensanglanté de la cuisine.
A l'instant où il relevait la tête, deux des gendarmes qu' il avait rencontrés à la sortie de la ville, se précipitaient dans la maison ; et, d'un bond, se jetant sur Cléro abasourdi, lui crièrent : “Ah ! l'on t'y prend, misérable assassin !”
“Assassin ?...” fit le malheureux Cléro, entre les mains des gendarmes, “assassin !”
En quelques secondes, les deux gendarmes eurent solidement garrotté, aux bras et aux jambes, le beau-frère de Thibaudière ; et l'un d'eux, du milieu de la cour du manoir, s'adressant à leur camarade qui était resté sur la route, lui cria : “Viens donc ! nous tenons l'assassin !”

(A suivre).
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MessageSujet: Re: Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader   Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Icon_minitimeDim 13 Mai - 6:18

X I

Le gendarme, que venaient d'interpeller ses compagnons, au lieu de les suivre, s'était, en effet, assis sur le bord de la route, les attendant. Plus âgé qu'eux, il avait jugé inutile de se détourner d'un chemin, déjà assez long par lui-même, pour des gens marchant à pied.
De plus, vieux soldat, habitué aux champs de bataille, le bruit de deux coups de feu, tirés à quelques pas, dans une maison quelconque, n'était pas fait pour l'émouvoir.
Cependant, interpellé de la sorte, il s'était levé vivement, et, un instant après, il franchissait le seuil de la cuisine du manoir.
Cette fois, il fut ému : deux cadavres gisaient sur le sol, où, tout autour d'eux, ruisselait un sang tiède et noir.
Contre la table de la cuisine, maintenu par un des gendarmes, et solidement garotté, le pauvre Cléro, blême, effaré, secoué par un frisson d ' horreur, jetait, sur chacun des personnages de ce drame, des regards de fou, répétant, de temps à autre, un seul mot qui justifiait son épouvante : “assassin ?”
Du seuil de la cuisine, où il venait de se montrer, le vieux soldat, depuis si longtemps le voisin et l'ami de Cléro, cria douloureusement : “Que se passe-t-il donc ici ?
— “Ce qui se passe? lui répondit le gendarme qui venait de l'introduire ; ce qui se passe ? Tu le vois bien. Ces deux malheureux qui sont là, morts et bien morts, ont été assassinés il n'y a qu'un instant ; et c'est Cléro, Cléro l 'honnête homme, Cléro, le bon citoyen, qui les a tués !
— “Cléro ? reprit le vieux soldat, ce n'est pas possible! El comment les a-t-il tués ?
— “C'est bien simple, continua le gendarme, il les a tués à coups de pistolet. Tu l'as entendu, aussi bien que nous l
— “Quoi ! interrompit le vétéran en sa isissant le bras de son interlocuteur, tu prétends que les deux coups de feu que nous avons entendus de la route. ..
— “Mais parbleu oui, c'est cela ! lui cria son compagnon. Au bruit des coups de pistolet, nous n'avons pas fait comme toi, qui es resté sur la route. En deux sauts, nous étions ici. Et nous sommes arrivés juste à temps pour voir mourir ce pauvre diable qui est là, sous les yeux, le nez dans une mare de sang . ..
— “Voyons, voyons, reprit le vieux soldat, vous êtes donc tous des fous, ici ? Toi, le premier, pardieu ! Qu'est-ce que tu nous contes là ? Les coups de feu ? Je les ai entendus, comme toi, et mieux que toi ! Car, tout juste au moment où les deux détonations se se sont produites, j'avais les yeux tournés, par hasard, du côté de la maison de Keravel. J'avais, d'ailleurs, suivi des yeux Cléro, depuis notre rencontre à la sortie de la ville. Et je ne fus pas du tout surpris de le voir prendre le chemin de Keravel, quand je reconnus près la porte du manoir, le cheval et la carriole du vétérinaire . .. Eh bien, aussi clair qu'il fait jour, au moment où les deux coups de feu ont éclaté, Cléro était penché sur le cou de son cheval, dont il examinait les harnais. Au bruit des pistolets, Cléro a levé la tête, et, aussitôt, brave comme il est, je l'ai vu, entendez-vous ? je l'ai vu se précipiter dans la maison ! Ce n' est donc pas lui qui a tiré ces coups de pistolet. Il est aussi innocent que vous et moi ! . ..
— “Sacrebleu ! s'écria le gendarme auquel s'adressait plus particulièrement le vétéran, tant mieux donc ! J'avais le cœur chaviré ; ça me remet, ce que tu dis là, mon vieux ! Et, vite, délivrons ce pauvre ami . ..
— “Oui, délivrons-le, dit à son tour le troisième gendarme, et demandons lui pardon du mal que nous lui avons fait !... I
En quelques instants, le malheureux vétérinaire fut débarrassé de ses liens. Et les trois militaires, heureux de lui rendre la liberté, le réconfortaient par mille bonnes paroles, appuyées de vigoureuses poignées de mains.
Mais le pauvre Cléro ne se retrouvait pas.
L'épreuve avait été trop forte, ou, pour mieux dire, les épreuves : car, depuis moins d'une heure, elles ne lui avaient pas manqué.
Apprendre, subitement, sans préparation, que sa nièce était riche d'une somme d'or fabuleuse qui, à cette époque encore critique de 1796, valait des millions.
Voir, sous ses yeux, deux hommes se tuer, et tomber, baignés dans leur sang, à quelques pas d'un trésor qui l'attirait lui-même.
Et, plus que tout ceci, avoir été saisi, comme l'auteur d'un double meurtre; avoir été, par les mains des représentants de la force publique, garrotté comme criminel, lui, qui de sa vie n'avait fait que du bien !
A toutes les protestations d'amitié des hommes de la maréchaussée, Cléro ne répondait que par des regards hébétés, et, toujours, le même mot revenait sur ses lèvres tremblantes “assassin !”
Et, toujours aussi, des pieds à la tête, tout son corps était violemment secoué par le frisson terrible qui s'était emparé de lui, le mot est juste, au moment précis où on l'arrêtait comme meurtrier.
Complication de plus, qui augmentait visiblement l'embarras des braves miliciens de la maréchaussée de Pont-l'Abbé.

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MessageSujet: Re: Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader   Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Icon_minitimeMer 16 Mai - 7:03

“Morbleu ! dit brusquement le vétéran à ses deux compagnons, ne perdons pas notre temps à bavarder : moi, je reste ici, avec l'un de vous, pendant que l'autre va courir à la ville, prévenir la justice et les autorités.
“Toi , dit-il, au gendarme qui l'avait appelé au manoir, monte avec Cléro dans sa voiture ; il a besoin de soins : dépose-le chez lui ; et cours, ensuite, faire ta déclaration, pour qu'on vienne, sans désemparer, relever ces cadavres, et procéder à l'enquête, dont nous serons les premiers témoins. Mais, surtout, camarades, pas un mot de soupçon sur Cléro ! Cléro est un brave homme, et c'est déjà trop que nous l'ayons mis dans ce pitoyable état. Allons, en route ! Partez tous deux , Cléro et toi I Et, encore une fois, pas un mot sur Cléro !”
Une heure après, suivies d'une foule curieuse et animée, les autorités de la ville pénétraient dans la cuisine du manoir de Kéravel.
Quant à Cléro, au milieu de l'émotion générale, par ordre urgent du médecin, on l'avait porté sur son lit, dans un état de prostration des plus alarmants.


DEUXIEME P A R T I E


I


La commotion cérébrale dont avait été frappé Cléro, à la suite du drame de Keravel, était de celles qui n'ont que deux issues possibles, la folie, ou la mort.
Dès le premier jour, le médecin ne s'y trompa point : à la prostration pénible du début, avait succédé une fièvre ardente, coupée d'accès de délire terriffiants. En moins d'une semaine, le malheureux vétérinaire fut emporté.
Sa femme, si bonne, et si faible d'esprit, resta seule, avec sa nièce Thibaudière, une enfant de seize ans. Quant à la vieille Isabelle, l'âge et les chagrins la minaient rapidement, la fidèle servante aurait, bientôt, fini sa journée . ..
La population de la ville, toute entière, avait suivi le convoi de Cléro : l'estime et l'affection de ses concitoyens, ravivées par ce malheur inattendu, se reportèrent, tout naturellement, sur sa votive, et sur sa nièce.

Le deuil fut général : il semblait que chacun, dans cette petite ville où tout le monde se connaissait, eût reçu sa part du coup mystérieux qui foudroyait cette famille.

Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Poisso10

Elle était mystérieuse, en effet, la tragédie du manoir de Thibaudière.
Deux hommes, peu sympathiques d'ailleurs, s'étaient jetés, l'un sur l'autre, dans une sorte de duel, dont la cause défrayait toutes les conversations.
Qu'étaient-ils, ces deux hommes? Nul ne le savait, pas même les gens de justice, qui s'occupèrent à déchiffrer l'énigme.
Parmi le peuple, mille histoires extravagantes se répandirent, semant l'effroi jusqu'au fond des campagnes. On n'était pas encore remis des secousses de la Terreur.
On voyait partout des brigands, et l'on n'avait pas tort.
Le drame de Keravel avait fait trois victimes, dont une seule était intéressante.
Généralement, on était porté à croire que Cléro, s'il n'était pas mort, aurait fait la lumière sur ces lugubres événements, sur ce crime, car, d'une façon ou d'une autre, il était évident que Bousquet et Trublot devaient être des criminels de la pire espèce.
Il en résulta que le manoir de Kéravel, dont l'écusson, au-dessus de la porte d'entrée, déjà martelé par la Révolution, parut comme tout éclaboussé de sang, resta désormais, dans la mémoire des populations, la maison du crime et du mystère.
La femme qui vivait avec Bousquet, servante probablement, épouse peut-être, n'avait pas été, non plus que le jardinier, inquiété par la justice.
Peu de semaines après l'événement, cette femme disparut, suivie de l'enfant de dix ou douze ans qui, sans doute, était sa fille. On pensa qu'elle était retournée dans la ville d'où elle était venue, Brest, disait-on, ou plutôt Le Hâvre.
Le jardinier, de son côté, avait cherché, ailleurs, du travail.
La maison du crime, montrée au doigt par les passants terrifiés, devint, pour près d'un demi-siècle, la maison abandonnée.

II



La veuve de Cléro avait quelque bien. De plus, elle vendait à son voisin, M. Barois-Duchêne, qu'on appelait le père Barrois, l'atelier de maréchalerie, où Cléro employait trois ouvriers, que l'on dut congédier.
Il resta à la veuve sa petite maison, très coquette, sur la rue, avec sa façade en pierres de taille, et un jardin, qui se confondait, pour ainsi dire, avec celui du père Barrois, une simple haie les séparant.
Leurs deux maisons se touchaient, et les deux familles vivaient presque en commun.
M. Barrois-Duchêne était veuf, avec un fils unique, qui s'appelait Lazare, un beau jeune homme de vingt-et-un ans, pour le moment à l'armée d' Italie, celle qui, bientôt, serait la Grande Armée.
Marié sur le tard, le père Barrois avait, à présent, soixante-dix ans ; un bonhomme fort sec, mais, qui, débile en apparence, était d'une santé robuste.
Retiré des affaires, dans sa maison bourgeoise de la rue du Château, il était dans l'aisance. Durant quarante ans et plus, grâce à un bon navire dont il était le propriétaire, et qui faisait les voyages en pays Bordelais, le père Barrois avail fourni du vin à toute la contrée. La noblesse, la bourgeoisie, le clergé lui avaient procuré une riche clientèle.

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MessageSujet: Re: Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader   Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Icon_minitimeSam 19 Mai - 20:16

Mais, troublé, dans ses affaires, par la Révolution, qui avait dispersé, sur toutes les routes de l'exil, les trois quarts de sa clientèle, M. Barrois-Duchône ferma boutique ; et, sans bruit, discret et prudent comme on devait l'être en ces temps troublés, vécut sagement dans sa vieille maison, où ses ancêtres étaient morts.
La fin tragique de Cléro fut un chagrin pour lui : c'était son unique ami.
Ce chagrin s'ajouta à celui qu'il avait ressenti au départ forcé de son fils pour l'armée, autant dire pour la guerre; car, désormais, tout un quart de siècle allait être rempli par la rumeur prodigieuse d'un peuple victorieux conduit,à travers l'Europe, par le plus extraordinaire des conquérants.
En ce mois de Septembre 1800, ce général de vingt-sept ans venait de détruire la troisième armée de Beaulieu et de Wurmser.

Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Bonapa10

Alvinzi allait avoir son tour; et le monde, étonné, suivait, avec stupeur, la marche triomphante de ce nouveau César, qui ne laissait pas un jour s'écouler sans adresser à la France un bulletin de victoire.
Lazare Barrais-Duchéne était un des acteurs de cette merveilleuse épopée.
Lui, aussi, envoyait au pays natal des bulletins de victoire, auxquels se mêlaient des billets discrets qui, des mains de la bonne tante Cléro, passaient dans celles de sa jolie nièce.
Louise Thibaudière et Lazare Barrais, en effet, n'avaient pu vivre, si prés l'un de l'autre, pendant des années, sans s'apprécier, sans s'aimer.
Dans le milieu familial, où, sous les yeux de leurs parents, ces enfants avaient grandi ensemble, le père Barrois, lui-même, avait, en quelque sorte, autorisé, encouragé l'affection naissante des deux jeunes gens ; et le jour où Lazare Barrois fit ses adieux à Melle Thibaudière, les serments les plus solennels furent échangés e n t re eux. Ils se quittèrent en fiancés.
Mais l'Adige et le Mincio étaient bien loin.
Lazare en reviendrait-il ?
Castiglione, Roveredo, Saint-Georges, c'étaient là des prodiges qui, à la lecture des bulletins enthousiastes de Lazare, faisaient battre le cœur de la belle orpheline ; mais que de larmes vous coûtiez à ses beaux yeux, victoires immortelles !

III

Quelques semaines s'étaient passées depuis la mort de Cléro.
La violence des premiers chagrins avait fait place, dans la maison du vétérinaire, à une douloureuse résignation, au milieu de laquelle, toutefois, les deux femmes étaient distraites par cette lettre mystérieuse, dont la lecture avait précipité Cléro sur la route de Keravel, pour son malheur, et celui de sa famille, aujourd'hui privée de son affection, de son expérience, de ses conseils.
Des conseils ! Elle en avait besoin, la pauvre veuve de Cléro. Sa bonté n'avait d'égale que sa faiblesse : elle était plus enfant que sa nièce. En réalité, elles étaient là deux enfants, qui, à la suite des évènements récents, sentaient si bien leur désarroi moral, qu'elles en étaient effrayées.
La lettre révélatrice de Thibaudière, elles l'avaient retrouvée dans les vêtements de Cléro, quand, à son retour de Keravel, il avait été transporté sur le lit où, si rapidement, il devait mourir.
Combien de fois l'avaient-elles relue, cette lettre extraordinaire, qui les troublait profondément, jusque dans leur sommeil ?
Les termes de ce véritable testament étaient précis: une somme de prés de sept cent mille livres appartenait à la fille de l'ancien intendant des Penthièvre. Mais comment entrer en possession d'un trésor, enfoui, à cette heure, dans une maison vendue par la Nation ?
Cette maison, il est vrai, était aujourd'hui complètement abandonnée, sans meubles ; et quoique les portes y fussent grand ouvertes, nul n'y pénétrait, tant l'effroi, dans la contrée, glaçait les cœurs, et paralysait les courages.
D'ailleurs, c'était plein de fantômes ; chaque nuit, de loin, on les voyait errer autour de la maison du crime.
Ah ! le trésor était bien gardé par eux, plus sûrement que par les dragons fabuleux, qui remplissent les contes de fées.
Comment deux pauvres femmes oseraient-elles s'aventurer sous le porche de ce manoir maudit, dont on s'éloignait avec terreur ?
Les femmes, en passant, sur la route, devant la maison-fantôme, hâtaient le pas, et, détournaient les yeux, en faisant le signe de la croix.
Cependant, il fallait bien prendre une décision. Madame Cléro et sa nièce ne parlaient plus que de cela, et, mutuellement, s'encourageaient, s'excitaient à agir.
Enfin, un jour, elles prirent la résolution, non pas de mettre le pied sur le territoire de Keravel, mais, du moins, d'aller jusque-là, pour voir les choses, du milieu de la route. Et, bien entendu, en plein jour. Une visite nocturne, jamais !
Vêtues de noir, se serrant l'une contre l'autre, on les vit, toutes deux, sur le chemin qui conduisait au manoir.
Leur courage ne fut pas de longue durée.
Il leur fut impossible d'aller jusqu'au but qu'elles s'étaient fixé.
Quand les pauvres femmes, de loin, virent la haute toiture du manoir, au bout de l'allée de châtaigniers où, si souvent, autrefois, avait joué Louise Thibaudière, un frisson mortel les saisit ; sous leur voile de deuil, toutes secouées de sanglots, elles s'en retournèrent, et rentrèrent chez elles, épouvantées par l'épreuve.

(A suivre).
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MessageSujet: Re: Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader   Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Icon_minitimeMer 23 Mai - 14:42

Agir par elles-mêmes, il ne fallait plus en parler.
Mais qui pourrait leur venir en aide, dans leur cruelle incertitude ?
A qui s'adresser ? A qui ? Mais comment n'y avaient-elles pas pensé plus vite !
M. Barrois-Duchéne n'était-il pas leur protecteur tout désigné, après la mort du vétérinaire ?
Et, de plus, n'était-il pas le père de Lazare, le fiancé de l'héritière de Keravel ?
Le soir même du jour où leur timide essai d'investigation sur Keravel avait si tristement échoué, les deux femmes eurent un long conciliabule avec M. Barrois-Duchéne.
Elles mirent sous ses yeux la lettre de M. Thibaudière.
Le père Barrois la lut, la relut plusieurs fois, très froid en apparence, comme toujours, mais, au fond, extrêmement ému.
Cette fortune relativement énorme, qui allait, par le mariage de son fils avec la fille de l'émigré, tomber subitement dans sa famille, lui causa un trouble qu'il put, d'ailleurs, facilement dissimuler aux yeux de femmes sans expérience.
« Mes chères enfants, leur dit enfin le père Barrois, en tournant et retournant la lettre entre ses doigts, c'est bien : la fortune en question est bien à vous, ma fille ; n'ayez à ce sujet aucune inquiétude. Légalement même, nous n'aurions rien à craindre ; car votre père, nous l'avons su trop tard, a été traité à tort comme émigré ; et il n'est pas impossible que, dans un avenir peu éloigné, je n'entame une action en revendication, pour vous remettre en possession d'une propriété qui vraisemblablement, me semble, aujourd'hui, n'appartenir à personne. Mais, pour le moment, il ne serait pas prudent d'agiter la question de légitimité : le plus urgent est de mettre la main sur la fortune que vous a réservée si formellement votre vénéré père. La chose présente, sans doute, quelques difficultés ; mais elle n'est pas impossible. Donnez-moi donc quelques jours de répit, pour réfléchir aux moyens à employer. Surtout, ne mettons personne d'autre dans la confidence de notre redoutable secret. Vous et moi ne formons plus qu'une famille : ce secret est un lien de plus, qui rendra plus étroite notre indissoluble amitié. Du fond de la tombe, ceux qui furent autrefois mes meilleurs amis, Thibaudière et Cléro, seront mes témoins, dans l'œuvre de restitution que je vais entreprendre. Et Dieu, visiblement, est avec nous.


IV

Le père Barrois était, moralement, d'une trempe solide. Il avait été, toute sa vie, un honnête commerçant ; et l'aisance, dont il jouissait tranquillement, étant veuf et n'ayant qu'un fils, n'avait rien qui, dans ses souvenirs, put troubler sa conscience.
De plus, il n'était pas accessible aux superstitions absurdes, ni à la peur.
Sa décision fut prompte. Sans même entrer dans le détail de ses intérêts personnels qui, par suite du mariage prochain de son fils et de Melle Thibaudière, se confondaient, naturellement, avec ceux de l'héritière, il n'eut pas d'hésitation.
Dès le lendemain, après une nuit de réflexion, il déclara à Madame Cléro et à sa nièce que, le soir même, i! pénétrerait dans la maison abandonnée, pour prendre possession de la somme enfouie par Thibaudière au mois d'Août 1792.
Il crut de son devoir de demander aux deux femmes de l'accompagner.
On lui répondit, — il s'y attenda it, — par des cris d'épouvante. Il n'insista pas. Et, autorisé par elles, il s'apprêta, sinon sans émotion, du moins sans inquiétude, à s'acquitter d'une mission qu'il considérait, non seulement comme un devoir, mais aussi comme une affaire d'un caractère urgent.
On était à la fin de Novembre. La nuit, dès cinq heures du soir, enveloppait de ses voiles la ville, et la campagne déjà plus triste.
Le père Barrois attendit cependant neuf heures. Sous un ciel sans lune, chargé de nuages opaques, que chassait vers l'est le vent de mer, le vieillard, enveloppé de son manteau d'hiver, s'avança rapidement sur la route solitaire qui conduisait au manoir.
Personne dans les rues. Personne sur le chemin : il atteignit sans encombre la maison mystérieuse.
Eclairé d'une lanterne sourde, il entra dans la cuisine, et se mit à l'œuvre, sans perdre un instant.
Les termes de la lettre de Thibaudière étaient précis. Les dalles, indiquées par l'Intendant des Penthièvre n'avaient, évidemment, été déplacées par qui que ce fût, depuis quatre ans.
Nullement scellées, il suffirait de peu d'efforts pour les soulever. Il était visible que Thibaudière, avant son départ précipité pour Paris, n'avait pas d'appréhensions sérieuses sur l'issue du voyage imprévu qui lui était imposé.
Il se croyait bien sûr de revenir à Keravel, après quelques jours d'absence.
La cachette, improvisée par lui au dernier moment, n'était, dans sa pensée, que provisoire : mais, chacun le sait, rien n'est plus d u r a b l e, souvent, que le provisoire, même en pareille circonstance ; et en matière de cachette, les précautions les plus simples sont celles qui déroutent le mieux, et sont, par conséquent, les meilleures.


(A suivre).
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MessageSujet: Re: Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader   Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Icon_minitimeSam 26 Mai - 5:24

Le père Barrois, sans bruit, éclairé faiblement par sa lanterne discrète, souleva, l'une après l'autre, les deux pierres qui dallaient le sol, au pied de la fenêtre.
Dans une caisse, qui remplissait une excavation rectangulaire peu profonde, le vieillard compta trente-trois sacoches de forte toile, solidement ficelées. Il en ouvrit une, y plongea les doigts : le sac était plein de louis d'or. Chacun de ces sacs était assez lourd.
Les poches intérieures de son grand manteau semblaient faites tout exprès pour la besogne qu'il avait prévue. Un peu ému, mais très robuste encore dans sa verte vieillesse, le père Barrois prit six des sacoches, replaça les dalles sur le trésor enfin découvert, et retourna à la ville.

Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Mairie10

La distance était insignifiante, de la ville au manoir, Sans hâte inutile, le vieillard y fit un second voyage; d'autres suivirent, de telle sorte qu'à trois heures du matin, après avoir cinq fois accompli le trajet, le père Barrois avait mis en sûreté, dans sa.chambre à coucher, le trésor tout entier laissé par
Thibaudière.
Assis devant sa table, où les sacoches étaient rangées, le vieillard les ouvrit, l'une après l'autre. Toutes étaient, visiblement, du même poids. Il compta, rapidement, le contenu de l'une d'elles. Elle renfermait vingt mille livres.
Une seule était très différente des autres, comme poids, et comme dimensions. Elle contenait, avec des louis d'or, des bijoux qui devaient avoir appartenu à madame Thibaudière, un collier de perles magnifiques, des bracelets, des parures, des blagues, le tout d'un grand prix.
Le père Barrois, malgré la fatigue, ne se coucha pas. Il voulut connaître, avant de le remettre à sa légitime propriétaire, l'importance exacte du Trésor de Kéravel : le total se montait à la somme de six-cent-cinquante mille livres, les bijoux mis à part, et d'une estimation en dehors de sa compétence.
Quand il eut fini ce long inventaire, le vieillard fut très surpris de s'apercevoir qu'il était déjà neuf heures du matin. Et toute fatigue avait disparu : l'émotion avait renouvelé ses forces.
“ Allons, se dit-il, descendons chez mes voisines : quelle joie pour elles !” Il aurait dû ajouter : “et quelle joie pour moi !”
Mais il fut obligé de s'avouer qu'un sentiment tout nouveau venait de s'emparer de lui, et il en fut effrayé : sans analyser, sur l'heure, l'état de son esprit, ou bien plutôt, son état d'âme, il constata avec stupeur qu'il se voyait profondément troublé, attristé, en révolte contre lui-même, et, chose très grave, nullement disposé à remplir ce qui, peu d'heure auparavant, lui semblait être l'accomplissement d'un devoir sacré, d'un devoir tout simple et tout naturel.


V

Longtemps, ayant, sur sa table, les sacoches rangées et ficelées, il se promena, de long en large, à travers sa modeste chambre à coucher.
Réfléchissait-il ? Raisonnait-il avec lui-même ? Ou, plutôt, déraisonnait-il ?
Cet homme de soixante-dix ans, honnête jusqu'à cette minute décisive dans sa vie, cet homme dont les jours étaient plus ou moins prochainement limités, côtoyait les bords d'un abîme qu'il voyait encore, qu'il sentait sous ses pas, mais qui, dans quelques heures, dans quelques instants peut-être, tant la folie l'envahissait rapidement jusqu'aux moelles, ne l'épouvanterait plus.
Les hommes du théâtre, les grands remueurs de cœurs et de ficelles, les Sophocle, les Corneille, les Molière, les Shakespeare, résument l'action tragique dans le développement de trois passions primordiales, l'amour, l'ambition, la cupidité.
L'amour, tous sont d'accord à son sujet, n'est pas autre chose qu'une espèce de folie.
Dans ses phénomènes d'ordre plutôt physiologique, l'amour est perpétuellement en scène, sous nos yeux. Il s'agite, comme dans une maison de verre. Drame, ou comédie, le rideau est toujours levé. Et, en définitive, les acteurs, ici, c'est tout le monde. Pour cette raison, le philosophe le plus cruel est obligé de se montrer indulgent. Dans une mesure plus ou moins exagérée, la folie est la règle, et la sagesse l'exception.
Tout autre est l'ambition. Par la supériorité du génie, elle se justifie chez les César, chez les Napoléon. Et, alors, elle s'impose,sans doute, comme une fatalité inéluctable, en bien ou en mal, dans la conduite des peuples.
Mais, quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, l'ambition est le vice des médiocres. Nous le voyons aujourd'hui, plus que jamais. Jamais la France, ce grand pays qui a subi tant de mauvais maîtres, n'a été plus mal gouvernée qu'à cette heure. Place aux médiocres ! Et, disons-le bien haut, la physiologie, la philosophie elle-même, n'ont rien à y voir : les médiocres dont nous souffrons, à force de platitude comme arrivistes, sont, tout simplement, des infâmes et de vulgaires criminels.
Quant à l'avarice, à la cupidité, à l'amour de l'or, rien de plus vil, de plus honteux.
Mais, ici, du moins, la science a le droit d'intervenir, non pour excuser, mais pour expliquer. Il y a des phénomènes à analyser qui sont éloquents par eux-mêmes. Il est visible, malgré toutes les apparences contraires, que les avares sont des fous, ou, tout au moins des malades.


(A suivre)
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MessageSujet: Re: Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader   Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Icon_minitimeMar 29 Mai - 7:38

Oui , les apparences sont plutôt contraires : pas d'hommes plus sérieux que les avares, ce sont des individus méthodiques en diable, ordonnés, pratiques, équilibrés.
S'ils n'étaient pas taquinés par le microbe tout spécial qui, peu à peu, fuit de ces malades des monstres abominables, quels hommes ce seraient, les Harpagon, les Shyloch, les Grandet ?

Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Harpag10

Ils sont, en réalité, des hommes extraordinaires, d'une lucidité cérébrale merveilleuse. Ils sont doués d'une force et d'une ténacité qui leur permettent d'accomplir des prodiges. Mais pour aboutir à quoi ?
A quoi ? A passer leur existence, à genoux devant un trésor, auquel ils ne touchent pas.
Je ne sais qui me disait un jour, et j'ai admiré cette observation : « Vous voyez, monsieur un tel, qui est si riche et si avare ? Eh bien, j'ai pitié de cet homme que je considère comme un pauvre diable, et qui, en somme, trouve moyen, lui le plus riche de la ville, d'en être le plus malheureux. Dieu lui a mis un trésor entre les mains, mais il lui défend d'y toucher!” C'est la vérité même.
M. Barrois-Duchêne en était là. Lui, si heureux jusqu'à ce jour, jouissant en paix d'une aisance bien gagnée, il commençait de souffrir à présent, ne pouvant plus se détacher d'un trésor - qui ne lui appartena it pas !
Comme un amoureux frappé de folie, frappé, comme Roméo au bal des Capulet, d'un coup de foudre, ce sage de soixante-dix ans était pris par les yeux, était pris par le cœur. Se séparer de cet or, que ses mains venaient de remuer pendant des heures, s'en séparer, jamais !
Il sentait bien, et très nettement d'abord qu'il commettait un crime.
Mais, bientôt, pour répondre aux cris de sa conscience en révolte, il trouva des raisons suffisantes pour se justifier à ses propres yeux, pour légitimer une prise de possession si déloyale, un vol tout particulièrement odieux, venant de lui, odieux surtout quand on songeait à l'innocente victime qu'il dépouillait.
Ce raisonnement très subtil, le malheureux vieillard l'avait, mentalement, échaffaudé, au long des heures qui s'écoulaient; et lui, l'homme rigide d'hier, il en était arrivé à se montrer satisfait des arguments les plus pitoyables.
Eh quoi, se disait-il, remettre un tel trésor entre les mains d'une enfant de seize a n s, aussi inexpérimentée que naïve, qu'elle folie !
Il est vrai que la jeune fille serait la première à le supplier d'en rester le dépositaire, le gardien, le gérant ! A qui se fierait-elle, sinon à lui, pour la conduite d'une fortune, dont elle-même ne saurait que faire, du moins pour le présent ?
Celle objection sans réplique gênait un peu le père Barrois, dans sa chicane cruelle avec sa conscience. Il y avait, cependant, une façon de tourner la difficulté. Ne pouvait-on pas gérer cette fortune, défendre les intérêts de l'héritière, tout en lui cachant l'existence du trésor qui lui appartenait ?
M. Barrois-Duchéne trouvait réponse à tout. Car d'autres objections se présentaient, celle-ci des premières : son fils ne serait-il pas bientôt le mari de Mlle Thibaudière ?
Alors pourquoi commettre ce crime abominable ?
Son fils, allons donc ! reviendrait-il, seulement, de cette guerre stupéfiante, où l'on se battait, tous les jours, quarante mille contre cent-vingt mille ; de cette campagne prodigieuse où la Victoire ailée, amoureuse de soldats en haillons, volait, avec eux de ville en ville, de fleuve en fleuve, de province en province ; campagne sans précédents où, en quelques semaines, des héros sans souliers
g a g n a i e nt dix-huit batailles rangées et quarante combats !
Son fils pouvait mourir à la guerre. Chaque bulletin de victoire n'était-il pas un messager de mort pour tant de familles en deuil, d'un bout à l'autre du pays ?
Et son fils mort, plus rien. Tout lien était brisé avec Louise Thibaudière qui, demain, selon toutes probabilités, serait alors la femme d'un étranger. Et le père Barrois n'aurait plus là affaire à une enfant, mais à un homme qui, dès la première heure, réclamerait des comptes sévères, impossibles à éluder.
El ici, le père Barrois triomphait. Ce mari, que serait-il ? Un dépensier, un fou peut-être, qui gaspillerait, en quelques années, en quelques mois, ce trésor qui était là, sous ses yeux, sous sa main, ce trésor qu' il allait enfermer sûrement, pour y veiller jour et nuit, désormais.
Pour finir d' endormir sa conscience, n'avait-il pas le droit de se dire qu' il n'agissait qu'au mieux des int é r ê ts de sa pupille, et par pure affection pour elle?
La plus vulgaire prudence l'obligeait à commettre cet acte nécessaire.
Lui, un voleur ? Bien loin de là ! II était, tout simplement, un tuteur prudent, avisé, agissant, au vrai sens du mot, au sens juridique du mot, en bon père de famille !
Ce colloque achevé et sa décision prise, le bonhomme enferma, dans une armoire secrète, ménagée dans le mur de sa chambre, le trésor de Thibaudière; et, du pas méthodique et ferme qui lui était habituel, descendit à l'appartement du rez-de-chaussée, dont Mme Cléro faisait son salon, sa salle à manger et sa salle à ouvrage.

(A suivre).
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MessageSujet: Re: Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader   Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Icon_minitimeSam 2 Juin - 6:10

M. Barrois-Duchéne trouva la tante et la nièce assises, et travaillant dans l'embrasure d'une des croisées donnant sur la rue du Château.
Sans autre préambule, il s'assit entre elles d'eux, dans un vieux fauteuil à tapisserie fanée, et, leur prenant les mains, déjà comédien, décidé au mensonge brutal, il leur dit : “Mes pauvres enfants, je viens du manoir de Keravel : j'y ai passé la nuit et une partie de la matinée. La place indiquée par mon vieil ami Thibaudière, je l'ai trouvée. J'ai soulevé les dalles, et exploré l'excavation : il n'y avait plus rien. Ces misérables avaient tout enlevé !”
En parlant des misérables, il voulait dire, apparemment, les deux hommes dont les cadavres avaient été trouvés par Cléro, à la suite d'une scène qui était restée une énigme pour tout le monde.
“Mon Dieu, lui dit Mme Cléro, plus attristée, peut-être, de l'émotion pénible qui blêmissait le visage du vieillard, que de la nouvelle si grave qu'il apportait, acceptons cette épreuve, après toutes les autres. Ma nièce était pauvre, et je ne suis pas riche.
Mais nous continuerons à vivre, l'une près de l'autre, heureuses, du moins de nous aimer, et protégées par un ami tel que vous ...”
— “Sans doute, dit de son côté la bonne petite nièce, en embrassant affectueusement le père Barrois, avons-nous besoin d'un trésor pour vivre ici, dans cette petite maison, ou rien ne manque, hélas, que Lazare ? ...
Qu'il revienne, bien portant, de là-bas, c'est tout ce que je demande à Dieu, dans mes prières. Quant à cette fortune, n'y pensons plus, et n' en parlons plus ...”
Quand le père Barrois, quelques minutes après cette scène pénible, qu' il n'eut pas la force de prolonger, remonta dans sa chambre à coucher, devenue un repaire, il était anéanti.
Son succès près des deux innocentes qu'il venait de quitter, le confondait, l'épouvantait. Criminel, il l'était, mais cruel à ce point !
Quelle chute ! Quel abîme! C'en était fait de sa vie. L'attentat était consommé.


V


A dater de ce jour, quel changement dans l'existence des deux famillles !
A la tristesse de l'hiver s'ajouta bientôt pour les deux pauvres femmes, victimes, coup sur coup, des événements les plus tragiques, un isolement funèbre qui les surprit douloureusement dans les premières semaines, et qui, de jour en jour plus pesant, les enveloppa d'une atmosphère de perpétuelle épouvante.
Sans transition, d'ailleurs, dès le premier jour après le crime commis par le père Barrois, la vie en commun avait été abolie. Sans le moindre ménagement, le vieillard, hier encore si aimable, si prévenant, avait rompu toutes relations avec celles qui se considéraient, non seulement comme ses protégées, mais comme ses propres enfants.
Avant le cruel événement qui, d'un homme rigide et vertueux, avait fait subitement un odieux criminel, il ne se passait pas de semaine, sans qu'on vît, réunies à la même table, ces trois personnes, qui ne formaient qu'une famille.
Désormais, plus de réunion, plus d'union.
Était-ce vraiment cruauté, de la part du père Barrois?
Non. C'était honte de lui-même : il n'avait pas encore l'impudeur du crime. Il ne s'était pas fait encore un front qu' il osât montrer.
Craignant de se trahir, il se cachait.
A différentes reprises, les deux femmes, alarmées et tremblantes, avaient essayé de pénétrer chez lui. Elles durent renoncer à leurs visites, d'où elles sortaient, plus angoissées encore, et tout en larmes.
Le père Barrois, pour les dérouter, se disait malade, mais refusait leurs soins, et leur fermait sa porte.
Malade ? Il l'était, sans doute, le malheureux ! D'une maladie terrible et mortelle.
Pauvre fou de septuagénaire, les quelques années qui lui restaient peut-être à vivre, il les trouvait donc trop longues, puisqu'il empoisonnait si cruellement les derniers de ses jours !
Pour le plaisir de vivre, seul à seul, oh ! bien seul à seul, avec cet or, dont il se constituait, jour et nuit, le gardien amoureux et jaloux, il ruinait sa santé, il se suicidait, dans son corps, promis demain à la tombe, et dans son Ame, que l'éternité n'épouvantait plus ...
Mais ce plaisir, il est vrai, était immense.
Ou, du moins, il faut le croire : la joie de vivre près d'un tas d'or, dont on n'use pas, doit être une volupté suprême, puisqu' il existe des Harpagon et des Grandet ; mais, seuls, les Grandet et les Harpagon pourraient nous décrire les raffinements de cette jouissance qui nous stupéfie, nous qui sommes des profanes, des ironistes, des ignorants.
Le père Barrois avait une vieille domestique, qui, la mère étant morte, l'avait aidé à élever son fils. Elle lui était dévouée jusqu'à la mort.
Sans pitié, il la congédia.
Il voulait vivre sans témoin. De plus, l'avarice, une avarice effrayante et vengeresse s'était attachée à lui, comme un succube, l'avait pris jusqu'aux moelles, maîtresse et gouvernante des moindres actes de sa vie.
Il vécut de la présence de son trésor.
Quelques légumes, quelques fruits de son jardin, restés de l'automne, furent toute sa nourriture. Mais, bientôt, lui si soigneux de son jardin, si ordonné dans sa maison, laissa tout à l'abandon.


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Voir son or, toucher à son or, veiller sur lui, avec les angoisses délicieuses d'un amant follement épris, ce fut là toute sa vie.
Quant à son crime, il n'y pensait même plus.

VI

Dix-huit mois se passèrent, sans changement notable dans l'existence du père Barrois et de ses voisines.
Cependant, avec le temps, l'esprit des deux pauvres femmes s'était tranquillisé. Peu à peu, elles s'étaient habituées à l'abandon, à l'isolement où les obligeait de vivre l'inexplicable conduite du malheureux vieillard.
Moins tristes, et soutenues par la pensée toujours présente du fiancé loyal qui, lui, malgré l'éloignement, ne les abandonnait pas, elles regardaient l'avenir sans trop d'inquiétude.
Lazare Barrois écrivait souvent à son père. Mais il était dans les habitudes du bonhomme de ne correspondre avec son fils qu'à des intervalles très éloignés. Le jeune homme n'apprit donc l'état de santé de son père que par les lettres de sa fiancée.
Car, à présent, la jeune fille correspondait directement avec celui qui, aussi impatient qu'elle, attendait une accalmie, une permission de ses chefs pour accourir au pays, et faire une réalité de la promesse d'hymen si solennellement échangée. Le mot “hymen” était, alors, le terme consacré ; et “les lauriers de Mars », dans la littérature du temps, alternaient aimablement avec « les myrtes de Cypris”.
Et c'étaient bien des lauriers qu'avait moissonnés Lazare. La victoire avait fait de lui un officier, très apprécié de ses chefs.

Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Portra11

Capitaine à vingt-deux ans, sa belle conduite avait attiré l'attention de Bonaparte lui-même qui, malheureusement pour ses projets de mariage, semblait l'attacher à sa fortune, et faisait la sourde oreille quand le jeune homme réclamait quelques jours de liberté.
Il est vrai qu'en Juillet 1798, blessé à la bataille des Pyramides, il était cité à l'ordre du jour : et transporté à l'hôpital du Caire, il eut, désormais, l'assurance de revoir bientôt le pays natal.

Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Batail10

Vers ce temps, un bruit étrange circula dans la petite ville de Pont-l'Abbé, et surprit tout le monde, excepté toutefois les deux voisines du père Barrois-Duchêne : le bonhomme était devenu fou.
Pouvait-il en être autrement, quand on songe à l'ébranlement cérébral causé, chez un septuagénaire jusque-là si réglé, si attaché à tous ses devoirs, par le désordre brutal résultant pour lui, au physique comme au moral, de l'acte abominable qu'il avait commis ?
Il le payait bien cher, ce trésor fatal, que la piété d'un père avait réservé pour le bonheur de sa fille adorée, et qui, dans les mains d'un vieillard insensé, ne profitait à personne, pas même à lui !
Pendant quelques mois, cependant, le père Barrois avait joui pleinement de la possession de ce trésor.
Mais le désordre physique dont nous parlions tout-à-l'heure, ne pouvait pas manquer de frappor le misérable criminel dans toutes ses facultés. A la privation de nourriture s'était ajoutée forcément la privation de sommeil.
On ne joue pas impunément avec les excès. Au bout d'un an, le père Barrois avait vieilli de dix ans, sans que personne s'en doutât, puisqu'il ne sortait plus ; au bout de quinze mois, sa cervelle était à l'envers.
Et puis, lui qui, réellement et follement épris, avait tout oublié, même son crime, pour se plonger dans les délices d'une passion toute nouvelle pour lui, se sentit empoigné, plus cruellement de jour en jour par le remords.
Sans voir bien clair dans le fond de son âme, il souffrit. Il essaya de se débattre sous l'étreinte de cet archer impitoyable qu'est le remords ; mais son écroulement moral était tel qu' il lui fut impossible de réagir, de revenir à la vie, à la sérénité de son existence antérieure.
Il devint réellement un fou.
Les premiers actes qui suivirent son détraquement moral témoignèrent, pourtant, d'une certaine lucidité d'âme, qui s'explique d'elle-même, et qui aurait pu laisser quelque espoir, pour une guérison prochaine.
Lui qui n'écrivait plus à son fils, se mit à lui adresser lettre sur lettre pour lui dire uniquement ceci, qu'il avait un devoir urgent à remplir, celui d'épouser la fille de Thibaudière.
Dans toutes ses lettres, le vieillard ne se lassa pas de crier à son fils : “Reviens au plus vite ! Je t'ordonne de revenir ! Je t 'ordonne d'épouser celle qui est ta fiancée et qui t'attend ! Si tu n'épouses pas Louise Thibaudière, sois maudit !”
Lazare n'avait pas besoin de ces mises en demeure pour adorer Louise Thibaudière.
Cependant, ces lettres si éloquentes, succédant à un long silence, l'étonnaient.


VII

Ce qui avait ému la population de la ville, ce n'étaient pas ces lettres, dont, seul, Lazare Barrois était le confident.
La folie du bonhomme n'était devenue un bruit public que le jour où, changeant toutes ses habitudes, le père Barrois avait repr is contact avec la rue, avec le dehors.
Depuis près de deux ans, en effet, le vieillard n'était pas sorti de sa maison de la rue du Château.
On fut donc très surpris d'apprendre que, presque toutes les nuits, vers dix ou onze heures, on le voyait, drapé dans sa vieille houpelande, aller et venir sur la route conduisant à Quimper.

(A suivre.)
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MessageSujet: Re: Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader   Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Icon_minitimeSam 9 Juin - 5:09

Ces allées et venues semblaient viser surtout les parages du manoir abandonné de Keravel. Y pénétrait-il ? On n'en savait rien.
Car le bonhomme ne sortait jamais que par des nuits sans lune, des nuits noires qui l'enveloppaient de ténèbres et de mystère, et le dérobaient aux yeux des rares citadins qui n'avaient pas encore leurs volets clos aux heures insolites des promenades étranges du père Barrois.
Ces sorties nocturnes étaient, de toute évidence, des manifestations nouvelles de la folie du vieillard.
Comme toutes les maladies, sa folie avait subi des phases successives, dont les prodromes obscurs avaient dû se caractériser par les lettres à son fils. Ces lettres étaient de véritables cris de remords, des appels désespérés d'une âme aux abois en lutte avec sa conscience. Non pas qu'elles fussent le moins du monde éloquentes ; mais, l'ordre réitéré donné à son fils, brutalement, tyranniquement, en quatre lignes, sans rien autre chose, pas même de ses nouvelles, constituait un état d'âme tragique, d'une éloquence vraiment douloureuse et poignante.
Or, puisqu'il y avait du remords au fond de cette âme torturée, c'est qu' il y avait un peu de lucidité dans la maladie, dans la folie du malheureux.
Après avoir, durant de longs mois, oublié son crime, la perception plus ou moins nette de sa coulpe l'avait ressaisi : de là, les missives impérieuses, les ordres presque furieux adressés à son fils. Du fond des ténèbres où il gisait, c'est à son fils qu'il tendait les bras. Dans ce de profundis, il suppliait son fils, il le chargeait de réparer son attentat.
Mais la preuve q ue sa folie persistait plus cruelle que jamais, malgré ces moments de lucidité fugitive et intermittente, c'est que, tout en pressant le mariage de son fils avec l'héritière de Keravel, il ne songeait pas une minute à se séparer de son trésor.
Tout, excepté cela ! Il aurait préféré s'arracher le cœur.
En fait, par suite de tant de précaut ions, si minutieusement prises en vue du mariage de son fils et de sa pupille, sa faute s'atténuait. Peu à peu, la raison reviendrait-elle dans ce cerveau malade ? La lumière pourrait-elle encore dissiper les ténèbres de sa conscience ?
Cependant, à un moment donné, qui, sans doute, coïncidait avec un avatar nouveau de son état cérébral, il n'écr ivit plus à son fils.
C'était l'époque où le bonhomme faisait ses voyages nocturnes du côté de Keravel.
C'était l'époque aussi où Lazare Barrois était soigné à l'hôpital du Caire.
S'il était privé des lettres paternelles, il n'avait pas à se plaindre de sa fiancée. Elle aurait été heureuse de pouvoir lui écrire tous les jours ; mais, faute de mieux, elle ne manquait une occasion d'exprimer au blessé de là-bas toute sa douleur, tout son amour, tous ses vœux de rétablissement et de prompt retour. Dans toutes ses lettres, c'était surtout son creur qu'elle lui envoyait; et le cœur de son fiancé lui parvenait aussi très fidèlement, dans toutes les lettres qu'il lui adressait du Caire. De loin, de trop loin, hélas, ils communiaient ensemble sous les espèces fragiles de ces lettres d'amour.
L' amour ne connait pas les distances. Cela n'empêche pas qu'en pareille matière, rien n'est plus vrai que le vers du vieux La Fontaine, dans la plus belle peut-être de ses fables, “Les deux Pigeons” : “l'absence est le plus grand des maux.”
La blessure qu'avait reçue Lazare Barrois était grave. La guérison fut longue.
Comme il entrait en convalescence, un pli officiel de la ville de Pont-l'Abbé et une lettre de Louise Thibaudière apprirent au jeune officier que son père était mort.


VIII


Pour achever la convalescence du blessé, les médecins avaient prescrit quelques semaines de séjour encore au Caire, avant de l'autoriser à entreprendre, par mer et par terre, le long voyage qui devait le ramener à son foyer désert.
A cette époque, Alexandrie et le Caire étaient devenues, aux mains des vainqueurs, des villes à demi françaises.

Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Le_gan10

Dans un des palais les plus somptueux du Caire, Bonaparte, pour conquérir à la science la contrée fabuleuse des Sésostris, des Cléopâtre, des Ptolémées, avait créé l'Institut d'Egypte. Monge, Larrey, Geoffroy-Saint Hilaire, Dolomieu, Berthollet étaient venus à son appel ; et, dès le premier jour, reprenant, à travers l'Egypte, la route qu'avaient déjà parcourue les Niebhur et les Volney, travaillaient, avec enthousiasme, à réaliser les desseins grandioses du général soldat.
On pourra accumuler contre Napoléon toutes les injures, tous les anathèmes. Il les mérite peut-être, quoiqu'il semble, en sa qualité de demi-dieu, les regarder de toute la hauteur de son mépris. Mais, on ne peut nier la puissance extra-humaine de ses facultés et la grandeur de ses conceptions. Eh bien, la plus sage de ses grandes pensées fut de donner, à la France, les Indes et l'Egypte.
Tout l'avenir de la France était là.
C'est si vrai, hélas, que l'Angleterre, la plus pratique des nations, la plus dénuée de scrupules, ne s'y est pas trompée : elle possède aujourd'hui l'Egypte; et, depuis cent vingt ans, les Indes sont la source, presque épuisée maintenant, de sa colossale fortune.


(A suivre.)
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MessageSujet: Re: Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader   Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Icon_minitimeMar 12 Juin - 7:16

On laisse à la France les fièvres du Sénégal, les poux du Dahomey, et les déserts brûlés du Soudan. Et pendant que les Anglais font bombance sur cette glorieuse terre d'Egypte conquise par les soldats de Desaix et de Klébe r, on autorise la France à dépenser un million par jour pour faire la police du Maroc, au nom de l 'Europe qui se moque de nous.
Or, ce n'étaient pas seulement les Monge et les Berthollet qui avaient débarqué en Egypte au lendemain des victoires françaises : de Paris, de Marseille, de Corfou, de Malte, toute une invasion de marchands et de Juifs, d'intrigants et de femmes galantes, de comédiens et de comédiennes, avait donné aux villes d'Alexandrie et du Caire une physionomie toute nouvelle, et apporté avec elle un changement profond dans les mœurs.
Beaucoup de femmes et de filles d'officiers étaient venues les rejoindre dans les villes de garnison. L'Occident avait envahi l'Orient.
C'avait été une invasion, charmante d'ailleurs, et une révolution, d'un attrait irrésistible.
La beauté des Parisiennes, habillées, ou plutôt à demi vêtues dans le costume extravagant du Directoire, mettait comme en fête les rues populeuses du Caire.
Tout, bientôt, y fut à la mode française, les magasins, les restaurants, les cafés, les théâtres.
Là où il y a des Français, il faut de la joie.
Depuis le général en chef, le mari de Joséphine, mais qui oubliait Joséphine, jusqu'au dernier des soldats, tout le monde s'amusait.
La joie, comme la victoire, était à l'ordre du jour.
Convalescent, ayant repris un peu ses forces, Lazare Barrois-Duchêne fit comme les autres. Ah ! les médecins avaient eu bien tort de le retenir au Caire, lui, si pressé de revoir son pays, et surtout sa fiancée.
A l'hôpital, d'ailleurs, quand il fut à peu prés guéri de ses blessures, il ne s'était pas ennuyé.
Les femmes de la colonie française du Caire s'étaient fait un devoir d'offrir leurs services dans les hôpitaux ; et ceux qui, pendant le siège de Paris, en 1870, ont vu, comme nous, au chevet des blessés, les admirables Parisiennes, savent combien les soins des femmes, leur dévouement, ne fût-ce que leur présence, sont choses précieuses.

Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Les_be10

Précieuses, vous l'êtes, sans doute, ô femmes, collaboratrices touchantes du médecin, mais dangereuses trop souvent ! Derrière l'ange de charité, qui panse les blessures du corps, l'amour, armé de toutes ses flèches, se plaît aux blessures du cœur, plus cruelles, celles-là, et plus inguérissables.

Lazare Barrois avait été gâté par les dames françaises du Caire : tous les jours, aux mêmes heures, et pendant des heures, elles venaient autour de lui ; et, pour ce convalescent de vingt-trois ans, c'était double plaisir de renaître à la vie, au milieu de cette atmosphère de jeunesse et d'amour.
Deux femmes s'étaient particulièrement intéressées au jeune officier : la femme et la fille d'un Intendant d'armée, en ce moment au Ca ire.
Depuis leur arrivée en Egypte, ces deux femmes, la fille comme la mère, s'étaient fait remarquer par leur légèreté d'allures, et leur excentricité.
Le mari, l'intendant Doriac, était, dans de moindres proportions, un officier de fortune, comme Lefebvre, comme Augereau. Quand avait éclaté la Révolution, il remplissait, à la Martinique, des fonctions subalternes, des fonctions administratives, plutôt civiles que militaires. Là, il avait épousé une fort belle Créole, d'origine française, dont la conduite équivoque, connue de toute la colonie, devint à peu près scandaleuse, quand, débarquée en France, elle suivit son mari, à Lyon d'abord, à Paris ensuite.
Plus belle encore que sa mère, sa fille Aurore, élevée à si bonne école, avait marqué, très jeune, des tendances à suivre les exemples déplorables qu'elle avait, quotidiennement, sous les yeux.
Les désordres de la mère étaient loin d'avoir nui à l'avancement du mari, dans sa carrière devenue toute militaire, depuis les guerres de la Révolution. Bien au contraire.
Sa femme, créole de la Martinique comme Joséphine de Beauharnais, était née, vraiment, sous une bonne étoile.

Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Josaph10

Quoique plus jeune un peu que Joséphine Tascher de la Pagerie, elle avait été sa compagne de tous les jours, son amie d'enfance et de jeunesse ; et la future Impératrice, de loin comme de près, lui avait gardé toute son affection. Aussi, en peu d'années, le petit agent colonial Doriac élail devenu l'intendant Doriac ; et sa femme entendait bien, à la première occasion, le voir intendant général.
Tous les jours, pendant la longue convalescence de Lazare Barrois, la mère et la fille avaient prodigué leurs soins au jeune homme; et leur visite était un enchantement pour l'officier. C'était un besoin, pour lui, de les voir, de les entendre, invinciblement attiré par la grâce toute particulière de leur beauté créole.
Leur succès, au milieu de la colonie française du Caire, avait été prodigieux. Il y avait là, cependant, des Parisiennes, des Marseillaises, des Maltaises, aux charmes sensationnels. Mais, surtout depuis l'avènement de Joséphine, les Créoles étaient à la mode ; et, de plus, personne n'ignorait l'intimité des relations qui existaient entre les belles Martiniquaises et Mme Bonaparte.

(A suivre.)
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MessageSujet: Re: Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader   Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Icon_minitimeSam 16 Juin - 8:11

On allait plus loin : on disait que pendant que Joséphine, restée à Paris, s'affichait publiquement avec l'intendant Charles et le tout-puissant Barras, de son côté, le général Bonaparte s'oubliait, en Egypte, avec Madame Doriac, avec d'autres encore, dont la chronique nous a laissé les noms.
Là en étaient les mœurs, à cette époque du Directoire, qui succédait aux années sanglantes de la Révolution.
Au besoin effréné de jouissances s'ajoutait une impiété générale dans toutes les classes de la société. L'exemple venait de haut : il était donné par Madame Tallien, qu'on a appelée depuis Notre-Dame de Thermidor, par Joséphine, la future impératrice, et peu après par le trio des Grâces, les trois sœurs de Bonaparte. Barras, cynique et beau, conduisait le bal.

Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Madame10

Au milieu de cette vie nouvelle, dont les scandales, comme on vient de le voir, se répandaient jusque dans les contrées lointaines, conquises à la France par ses soldats victorieux, Lazare Barrois, revenu à la santé, dans toute la force de sa jeunesse ardente, oublia très vite tous ses devoirs, dont le
premier lui commandait d'obéir aux suprêmes volontés de son père, d'obéir, surtout, à ses serments, en épousant la fiancée qui l'attendait dans sa ville natale.
La belle Aurore Doriac n'eut pas de peine à vaincre les dernières résistances de la conscience inquiète du jeune officier. Et, un mois après la réception des lettres qui lui avaient appris la mort de son père, mort qui le rendait libre, Lazare Harrois-Duchêne, le fiancé de Louise Thibaudière, devenait le mari d'Aurore Doriac, la compatriote et la protégée de Madame Bonaparte.


IX


Le premier emploi que fit Aurore Doriac de son influence conjugale fut d'exiger le départ immédiat des nouveaux mariés pour le pays natal de l'officier. On le savait riche : il était urgent de faire connaissance avec l'héritage que laissait après lui le vieil Harpagon de la rue du Château, à Pont-l'Abbé.
Cette impatience, manifestée par la jeune femme, ne lui avait-elle pas été inspirée par sa mère? Il n'y avait pas à en douter.
Quant à Lazare Barrois, qui, peu de semaines auparavant, était au désespoir qu'on retardât son départ, lui dont le cœur avait des ailes pour traverser les mers, pour traverser tant de pays, qui le séparaient de sa ville de Pont-l'Abbé, de sa maison, de sa fiancée, l'idée seule du retour, à présent, le terrifia.
Pouvail-il songer à franchir le seuil d'une maison qui ne faisait qu'une avec celle de sa fiancée, si lâchement trahie par lui ?
Hélas ! quelques jours d'existence, côte à côte avec Aurore Doriac, avaient suffi pour lui montrer dans quel effroyable abîme il était tombé. Il n'y avait pas à s'y tromper : c'était l'écroulement complet de tout son avenir.
Il n'avait plus, devant lui, qu'un désespoir sans limites, une infortune de tous les jours et de toutes les heures, dont la mort seule, d'un côté ou de l'autre, pouvait désormais l'affranchir.
Alors, il comprit l'énormité de son crime.
Las, déjà, de ses nouvelles amours, dont l'ivresse s'était vite dissipée, il songeait, l'amertume au cœur, aux amours si pures et si belles qui l'attendaient là-bas ...
Car elle l'attendait encore, elle l'attendait toujours, sa bonne et fidèle fiancée. Louise Thibaudière, heureuse de le savoir guéri, s'épuisait en prières pour réclamer le retour du bien-aimé.
Elle ignorait, dans l'innocence de son cœur, la trahison dont la nouvelle ne pouvait, cependant, tarder à lui parvenir. Dieu, quel coup, quel désastre ! La mort eût été moins cruelle.
Avant de quitter l'Egypte, cependant, pour revenir à son pays natal, Lazare Barrois, épouvanté à la pensée de paraître brutalement devant les yeux de Louise Thibaudière, accompagné d'une femme dont il était le mari, se décida à écrire, non pas à Louise — il n'en avait plus le droit — mais, du moins, à la tante de l'orpheline.
Cette lettre douloureuse, il l'écrivit sous l'impression de son malheur et de son remords.
Toute pleine, pour ainsi dire, de ses cris de désespoir, toute mouillée de ses larmes, cette lettre, messagère implacable d'un malheur sans remède, arriva à Ponl-l'Abbé, dans la maison tranquill où, souriantes d'espoir, attendaient les deux pauvres femmes.
Elle fut lue par elles deux, cette lettre funèbre qui, pour toujours, mettait en deuil le cœur de Louise Thibaudière. Il y a des souffrances qu'on ne décrit pas. O folie des amours cruelles, si vous saviez quelles blessures vous faites, quelles douleurs vous semez autour de vous !
Accablées par cette nouvelle foudroyante, la nièce et la tante tombèrent gravement malades. La vieille servante était morte.
Elles voulurent, cependant, souffrir sans témoins. Dans les larmes, dans la prière, elles s'isolèrent du reste du monde.
Les épreuves, sans se lasser, se succédaient sur elles, si innocentes et si douces.
Elles courbèrent le front, résignées à tout, désormais. Car, après l'abandon de Lazare, que pouvaient-elles appréhender dans l'avenir?
Cependant, la nouvelle du mariage de Lazare Barrois, en Egypte, était sue, à présent de toute la ville.
L'indignation fut universelle.

(A suivre.)
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MessageSujet: Re: Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader   Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Icon_minitimeMar 19 Juin - 10:13

Les deux personnes les plus aimées, les plus estimées du pays, étaient Madame Cléro et sa nièce. Tout le monde ressentit fortement le coup immérité qui les frappait.
Mais ce fut bien pis, à l'arrivée au pays de Lazare et de sa créole.
L'excentricité de sa mise et de ses manières, dans un milieu d'ordinaire si calme et si éloigné du bruit, excita d'abord la curiosité. Au bout d'une semaine, on criait, déjà, au scandale.
C'était, évidemment, trop se hâter : le scandale n'était pas réel. Mais l'abandon de l'orpheline avait exaspéré la population, dont l'émotion était légitime.
Lazare Barrois sentit, cruellement, la réprobation dont il était l'objet. Il aurait voulu, pour échapper aux regards malveillants de ses concitoyens, rester terré au fond de la maison paternelle.
Le pauvre garçon, d'ailleurs, n'était plus le maître de ses actions. Il ne s'appartenait plus.
Il vivait sous la tyrannie perpétuelle d'une femme qui n'admettait pas que chacune de ses fantaisies ne fût exécutée sur le champ.
Le foyer domestique, on le comprend, n'était pas fait pour une créature fantasque comme elle. Cette créole, gâtée par la nature, qui lui avait donné toutes les grâces, toutes les séductions, gâtée par sa mère, gâtée par la vie parisienne, au milieu des désordres du Directoire, n'aimait que la vie tapageuse, au dehors.
Sa beauté magnifique, dans le plein épanouissement de ses dix-huit ans, était de celles qui réclament le grand soleil, qui réclament des admirateurs, un public toujours nouveau. C'est une sorte de popularité, souvent un peu grossière, dont les femmes, qui se savent très belles, ont besoin, autour d'elles.

Histoire d'un trésor à Pont L'Abbé, de Frédéric Le Guyader Louis_12

La ville de Pont-l'Abbé, qui était, à cette époque, ce qu'elle était, quarante ans avant, au temps du mariage de Fréron avec une Hoyou, la petite ville, très peu étendue, trois fois moindre qu'aujourd'hui, n'offrait nulle distraction à ses habitants, encore moins à des étrangers, habitués, comme la créole, à la vie intense de la capitale.
Les voyages étaient une nécessité de son existence, toute de caprice et de folie. Quimper put, donc, l'admirer à tout instant ; et Brest eut le plaisir de la recevoir, souvent des semaines entières.
Lazare dut acheter des chevaux, des voitures de choix, pour ces coûteux voyages.
Sa femme, d'ailleurs, ne se déplaçait pas, même pour un jour, sans se faire accompagner d'un personnel féminin, qui est un des luxes obligés des dames créoles : deux superbes négresses de la Martinique, coiffées de madras clair, et vêtues de falbalas exotiques, avaient suivi Aurore, quand elle avait quitté l'Egypte avec son mari ; et, dans ses pérégrinations fréquentes à travers le pays bas-breton, c'était un émerveillement pour les yeux de voir passer, en brillant équipage, la belle Aurore, et, toujours, avec elle, ses deux jeunes négresses, dont les yeux mobiles, les dents éblouissantes égayaient la route, dans un éclat de rire perpétuel.
C'était là un régime fort coûteux pour la bourse de Lazare Barrois.
Il ne s'en effrayait pas trop, parce que, à son retour dans la maison paternelle, il avait trouvé une fortune, à laquelle il était loin de s'attendre.
II n'ignorait pas que son père avait amassé du bien. Même, il se souvenait que le jour où il avait quitté Pont-l'Abbé pour se faire soldat, le père Barrois, par mesure de précaution, lui avait dévoilé le secret de la cachette pratiquée dans la muraille de sa chambre à coucher ; et là, il avait cru voir des sommes considérables, méthodiquement rangées, dans les profondeurs de l'excavation.
Lazare savait aussi que, bien avant la Révolution, son père, comme s'il avait pressenti les événements, avait, très intelligemment, cédé son commerce, vendu des maisons, des propriétés rurales, réalisé enfin, en espèces sonnantes, toute sa fortune éparse dans la ville, et au dehors.
Malgré son jeune âge, en sa qualité de fils unique, Lazare avait été, sommairement, tenu au courant des opérations financières du bonhomme.
Aussi, dès son retour à Pont-l'Abbé, aussitôt qu'il put s'isoler, son premier soin fut de visiter la cachette paternelle.
Il n'y trouva pas les sept-cent mille livres du Trésor de Kéravel, dont il ignorait, tout naturellement, l'existence.
Mais la fortune qui était là sous ses yeux, sous sa main, dépassait toutes ses prévisions, toutes ses espérances.
Ce fut sans joie, cependant, qu'il se vit possesseur d'une fortune réelle, en or et en argent, si rares à cette époque.
Désormais, la tristesse de sa vie ne pouvait être distraite par rien au monde : il n'attendait plus le bonheur ; et il appréhendait tous les désastres.
Malgré tout, la beauté de sa femme était telle qu'il en subissait tout le charme, et, par suite, toute la tyrannie.

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