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| L'andouille du recteur par Frédéric Le Guyader | |
| | Auteur | Message |
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Patrice Ciréfice super posteur
Nombre de messages : 3411 Localisation : Brasparts Date d'inscription : 09/02/2009
| Sujet: L'andouille du recteur par Frédéric Le Guyader Mer 15 Sep - 19:26 | |
| Frédéric Le Guyader, braspartiate et poète, sera bientôt à l'honneur à Brasparts pour une journée qui portera son nom. Bien évidemment, sa "Chanson du Cidre" sera en première ligne, avec une amusante pièce de théâtre tirée de l'ouvrage et jouée par la troupe du Théâtre de l'Eclair de Concarneau. L'un des premiers textes publiés par Le Guyader dans la revue "L'Hermine" en août 1897 est aussi l'un des plus célébres de l'ouvrage: "L'andouille du Recteur". Je vous propose de le redécouvrir en "avant-première" de cette journée... Je me suis permis de rajouter quelques notes pour situer un peu les personnages, et de reprendre le découpage (en 4 parties) réalisé par l'auteur, dont le nom d'emprunt était à l'époque de la parution Frédéric Fontenelle...
Renan-le-Loup et Tonton Jean présentés au lecteur.
Renan-le-Loup était un vigoureux bonhomme De soixante ans, au teint rouge comme une pomme, L'oeil petit, mais très vif et très malicieux, Avec des sourcils gris en touffes sur ses yeux. Acerbe et dur, railleur terriblement farouche, Les sarcasmes sifflaient en sortant de sa bouche. Quand il ne raillait point, il était amusant. Son répertoire, aussi varié que plaisant, Poivre, sel et piment, vous dégoisait des choses Qui, par ma foi, remuaient la panse aux plus moroses. C'était, en somme, avec son air très goguenard, Quelque chose comme un Rabelais campagnard.
Au fond, il n'était point très méchant, le rustique. Mais, poussé par sa verve endiablée et caustique, Il mordait tout le monde, emportant le morceau. Tant pis pour le grincheux et tant pis pour le sot ! Quoique ce fût un gai conteur de rimodelles, Les femmes le craignaient, car il médisait d'elles, En langue basse-brète, avec des mots tout crus, Des mots tout rouge-vifs qu'il crachait gras et drus. Malgré tout, - me croira qui voudra sur parole, - Le meilleur et le seul ami de ce vieux drôle, C'était notre Recteur, un bonhomme indulgent Et doux, que tout le monde appelait Tonton Jean.
Tonton Jean, détâché des choses de la terre, Vieillissait doucement dans son vieux presbytère. Très alourdi par l'âge, obèse, et très épais, Il vivait ou plutôt s'éteignait en paix. Tout était vieux chez lui, Fanch-Camm, son domestique, Et la vieille Catho, carabassen antique, Borgne, bègue, toujours du tabac plein son nez, Dont les plats du Tonton était assaisonnés. Ces trois hôtes muets du presbytère sombre Achevaient en commun leurs longs jours tissés d'ombre.
A la même heure, après sa soupe, chaque soir, Tonton Jean s'en venait très lourdement s'asseoir Dans un des deux fauteuils en bois de la cuisine, Près de l'âtre, éclairé d'un morceau de résine. C'est là qu'il se plaisait, le saint homme de Dieu ! Satisfait, largement assis au coin du feu, Croisant ses grosses mains sur sa bedaine ronde, L'âme en paix avec Dieu comme avec tout le monde, Il fumait, il humait sa pipe longuement, Délicieusement et paresseusement.
Cependant, engourdi par la châleur de l'âtre, L'oeil demi-clos, noyé dans la vapeur bleuâtre De sa pipe, on voyait Tonton Jean s'assoupir. Et, tout d'abord, c'était comme un léger soupir Qui glissait en sifflant sur sa lèvre pendante, Puis peu à peu, suivant une gamme ascendante, D'énormes ronflements succédaient... Et, bientôt, Tout ronflait, Tonton Jean, Fanchic-Camm, et Catho.
(à suivre)
Notes explicatives:
1. Renan-le Loup est un surnom donné par le poète vraisemblablement à François Noël Dantec, né à Brasparts le 20 nivôse an IV. Aubergiste, puis marchand de drap, marié à Louise Le Baut et père de 4 enfants. Décédé à Brasparts le 26 septembre 1855. Certains ont pensé à un autre Dantec, Philippe, mais je n'ai pu en identifier aucun qui corresponde vraiment à cette période.
2. Dégoiser signifie raconter des histoires
3. Tonton Jean était l'affectueux surnom donné à Jean Paul Léon, recteur de Brasparts, né le 21 février 1797 à Lopérec; ordonné prêtre en 1824, il fut successivement vicaire à Ploaré (1824) puis à Recouvrance (1827), recteur de Plouguer (1829), de Saint Mathieu de Quimper (1834), de Brasparts enfin (1837) où il mourut le 10 août 1847. Lors de son séjour à Brasparts, le baron de La Pylaie lui rendit visite à son presbytère: « La cure est maintenant confiée , comme un lieu de retraite, à un digne ecclésiastique, M. Léon, qui avait occupé précédemment celle de Saint Mathieu, l'une des paroisses de Quimper. On l'avait chéri dans la ville épiscopale, et dans Braspars, il sut mériter le même attachement et la même considération. Je ne dois pas taire qu'en entrant dans son salon, j'eus le plaisir de le voir décoré d'un grand tableau de cosmographie, de cartes astronmiques et géographiques, etc., ornements trop rares, qui m'auraient suffi pour me faire juger l'homme que j'abordais, si je ne l'eusse connu dès Quimper, par ses ex-paroissiens. Mais j'eus le regret de le trouver retenu au lit par la goutte: il en souffrait au point qu'il ne put célébrer l'office le jour de Noël. » Plus loin, il ajoute: « J'eus la douce satisfaction de voir combien M. Léon était cher à ses paroissiens et combien il leur portait d'affection: c'était leur éloge réciproquement. » Le 1er janvier, M. Léon reçoit ses invités à sa table « avec cet usage du monde que donne le séjour des villes et la fréquentation d'une société distinguée. »
Dernière édition par Patrice Ciréfice le Dim 19 Sep - 16:00, édité 1 fois | |
| | | Patrice Ciréfice super posteur
Nombre de messages : 3411 Localisation : Brasparts Date d'inscription : 09/02/2009
| Sujet: Re: L'andouille du recteur par Frédéric Le Guyader Sam 18 Sep - 12:05 | |
| La confession de la vieille Maharit Un jour, - oh ! Ces jours-là, quelle corvée amère ! - Tonton Jean confessait une vieille commère. Tonton Jean n'aimait point son confessionnal. Il y baillait autant qu'un juge au Tribunal; Et, mon Dieu, bien souvent, malgré lui, le bonhomme S'oubliait dans sa boîte, et dormait un bon somme.
Précisons bien le jour: c'était un samedi, Veille de Pâque, une heure ou deux après midi. Desservant de l'endroit depuis quarante années, Tonton Jean connaissait toutes ses abonnées: Celle-ci lui venait cinquante-deux fois l'an: C'était Maharit Goth, la femme de Renan. Comme il savait par coeur les péchés de la vieille, Tonton Jean s'installa, non pour prêter l'oreille, Mais pour faire sa sieste; et déjà le sommeil Empourprait, moite et doux, son visage vermeil, Quand il fut arraché de sa béatitude, Par des soupirs plus gros encor que d'habitude.
“- Ho ! Ho ! Ma fille, quoi de neuf? Dit le Tonton. “- Allaz ! Allaz ! Allaz ! Dit la vieille Gotton, “Bien sûr, je n'aurai pas mes Pâques cette année ! “- Et pourquoi donc ma fille? - Allaz ! Je suis damnée ! “- Bah ! Le bon Dieu n'est point si méchant que cela. “ - Allaz ! - Diantre, il est donc bien gros , ce péché là? “- Tad, vous avez, dit-on, dans votre cheminée, “ Une andouille superbe, et vieille d'une année, “ Une andouille de Pâque... - Oui, ma fille, c'est vrai. “ Et s'il plaît au bon Dieu, demain, j'en mangerai. “- Tad, cette andouille là n'est point pour votre table. “ Et, certes, ce n'est pas le bon Dieu, c'est le Diable “Qui veut y mordre. - Oh ! Oh ! C'est donc lui le filou? “- Oui, le diable, ma foi. Car c'est Renan-le-Loup “Qui, ce soir même, doit la décrocher, mon père. “- Va, puisqu'il aime tant l'andouille, le compère, “Qu'il la prenne ! - Ah ! Bien mieux ! Il a même, aujourd'hui, “Choisi douze invités pour festoyer chez lui, “Et pour manger, demain, l'andouille, après la messe ! “- Eh bien, il ne faut pas qu'il manque à sa promesse: “Qu'il la prenne ! -Et moi, tad, ne pêcherais-je point, “La faisant cuire? - Non, si tu la cuis à point. “- Allaz ! Allaz ! Allaz ! Vous absolvez l'andouille. “Mais consentirez-vous que Renan vous dépouille “De votre cidre aussi, par dessus le marché? “- De mon cidre? - Oui, ce soir, quand vous serez couché, “Renan et deux ou trois compagnons de maraude “Forceront votre grange, et commettront la fraude. “Votre cidre est très bon: il vient de Kermerrien. “Mais celui de Renan, mon père, ne vaut rien. “Il vous glissera donc son vinaigre en échange. “- Il a cent fois raison, dit Tonton Jean; qu'il mange “L'andouille et boive aussi mon cidre ! Il a raison. “Ma grange est toute ouverte ainsi que ma maison. “Jésus, sur le Calvaire, avait bu du vinaigre. “Je puis, pour l'imiter, boire un peu de cidre aigre. “Mon cidre était trop bon et je l'ai trop vanté; “Va donc en paix, ma fille, et bois à ma santé. (à suivre) | |
| | | Patrice Ciréfice super posteur
Nombre de messages : 3411 Localisation : Brasparts Date d'inscription : 09/02/2009
| Sujet: Re: L'andouille du recteur par Frédéric Le Guyader Mar 21 Sep - 9:37 | |
| Le dépendeur d'andouilleCe soir là, Tonton Jean, à l'heure accoutumée, Fumait sa vieille pipe au tison allumée, Lorsque Renan-le-Loup entra, disant “bonsoir”, Et dans le grand fauteuil de gauche vint s'asseoir . Là, dans son coin fumeux, pendait l'illustre andouille.
Catho, tout maugréant, déposa sa quenouille, Et tira de l'armoire une bouteille en grès Qui passa de ses mains, hélas non sans regrets, Dans celles de Renan, grand expert en buvaille. “- Oh ! Oh ! Dit-il, Catho, ce cidre-là travaille ! “Catho, vite ! Approchez les écuelles, plus près !” Et pouff ! D'un coup de pouce, il déboucha le grès, D'où la blonde liqueur jaillit toute fumante. Renan-le-Loup saisit son écuelle écumante, Et, heurtant prudemment l'écuelle du Tonton: “A votre santé, tad !” dit le rusé Breton. “- A ta santé, mon fils, “ répondit le bonhomme. -”Hut ! Dit Renan, voilà, voilà du jus de pomme ! “Voilà du cidre, au moins ! En avez-vous encor? -”Une barrique. - Ah ! tad, il vaut son pesant d'or!”
Chaque fois que Renan faisait une visite, C'est toujours sur ce ton que le vieux parasite, Tout en lampant son cidre, emmiellait le Recteur. Tonton Jean n'était point dupe de l'imposteur.
Puis, nos causeurs, épris de la langue bretonne, Poursuivaient longement leur thème monotone, Renan buvait toujours, pendant que le Tonton Voyait couler son cidre au gosier du glouton.
Or, neuf heures sonnaient à l'antique clepsydre, Et Renan achevait sa bouteille de cidre, Quand, juste à ce moment, qui devint solennel, Le pauvre Tonton Jean, dormeur sempiternel, Inclina mollement sur sa vaste poitrine, Sa bonne face épaisse et purpurine.
C'était l'instant précis que Renan attendait. L'andouille merveilleuse était là qui pendait. Fanch-Camm ronflait. Catho dormait sur sa quenouille... Renan, d'un tour de main, flip ! décrocha l'andouille, La fourra prestement sous sa peau de mouton, Se glissa vers la porte... et bonsoir au tonton !
Ah ! Ne te hâte pas de rire, bon apôtre ! Tonton Jean ne dormait que d'un oeil, et, de l'autre, Comme un vieux chat rusé, sommeillant à dessein, Il t'a vu, mon fripon, il a vu ton larcin. Et cet oeil-là, Renan, ce regard en coulisse Etait si plein de joie intense et de malice, Qu'il t'eût pétrifié, si tu l'avais surpris. Va donc, vieux criminel ! Vieux loup, te voilà pris ! Va, dépendeur d'andouille, on va t'ôter l'envie De dépendre jamais d'andouille de ta vie !
Disons rapidement qu'une bonne heure après, Les compères soiffeurs que Renan tenaient prêts, Enlevèrent sans bruit le cidre de la grange, Et, très honnêtement, pratiquèrent l'échange. - Troquer n'est point voler, convenons de cela ! Or, avant eux, Tonton avait passé par là !
Qu'avait-il fait si tard dans la grange? Mystère ! Ce qu'on put voir, c'est qu'en rentrant au presbytère, Il se frottait les mains avec un air vainqueur, Et qu'en s'allant coucher, il riait de bon coeur. (à suivre) | |
| | | Patrice Ciréfice super posteur
Nombre de messages : 3411 Localisation : Brasparts Date d'inscription : 09/02/2009
| Sujet: Re: L'andouille du recteur par Frédéric Le Guyader Mer 22 Sep - 20:19 | |
| Le festin de l'andouille. La maison de Renan touchait au presbytère. Eh bien, c'est là, malgré ce voisinage austère, Malgré la Pâque sainte, à l'angelus sonnant, Qu'on vit entrer les douze invités de Renan. Douze bons gas, munis d'estomacs formidables, Douze sacs à boudins, abîmes insondables, Et d'autant plus dispos, quoique dispos toujours, Qu'ils venaient de jeûner durant quarante jours. Ah ! Quels gouffres, après quarante jours de maigre, Après quarante jours de bouillie au lait aigre ! Quels ogres, Dieu de Dieu ! Ce fut presque effrayant De les voir tous les douze à table s'asseyant. Ah ! Pas si bêtes; point de femmes ! Les femelles Etaient à leurs chaudrons, marmites et gamelles, D'où montait une odeur d'andouille et de ragoût Qui remplissait la chambre et vous mettait en goût. Renan suivait d'un oeil radieux ses complices Qui, très impatients, flairaient avec délices Le fumet de l'andouille et de la soupe au lard. Certe, il ne disait rien de son vol, le roublard ! Il n'en devait parler que la fête finie, Pour leur fourrer le nez dans son ignominie. Car c'étaient tous des gros légumes, s'il vous plaît ! C'étaient les hauts bonnets du bourg au grand complet: Monsieur le maire et les adjoints, le secrétaire, Monsieur l'agent-voyer, et monsieur le notaire, L'instituteur, l'huissier, monsieur le percepteur, Et pour mieux se moquer de toi, pauvre recteur, Monsieur le brigadier de la gendarmerie, Un grand diable, connu pour sa gloutonnerie, Un Gascon, mangeur d'ail, qui, tout en gasconnant, Vous eût bafré, tout seul, le fricot de Renan. Ah ! J'en oubliais un: c'est Tuyau, l'organiste, Tuyau, le long Tuyau, l'inénarrable artiste Qui nous jouait des airs d'opéras inouïs Sur des orgues datant du temps de saint Louis. Oh! Ces orgues! C'était mille tuyaux grotesques, Qui sifflaient quand souffflaient deux soufflets gigantesques, Sur lesquels s'essoufflaient trois ou quatre gamins. Alors, Tuyau laissait courir ses longues mains Sur le clavier criard tenu par des ficelles; Et les touches grinçaient comme autant de crécelles, Pendant que les tuyaux, l'un sur l'autre étagés, Miaulaient comme un tas de matous enragés. Enfin, la soupe au lard, à travers un nuage De fumée, apparut avec les plats d'usage. La vieille Maharit, maîtresse de maison, Et ses nièces, Mary-Jeannie et Louison, Les jupons retroussés, tabliers, fausses manches, Pour ne point abîmer leurs robes des dimanches, Apportèrent les plats très solennellement. Alors, debout, nu-tête, avec recueillement, Maître Renan leva sa main patriarcale Sur la table où fumait la soupière pascale; Et, d'un air très touchant et plein de gravité, Le drôle récita le “Benidicite”. Là-dessus, on se mit à l'oeuvre, comme on pense! Ah! l'on allait enfin se réchauffer la panse! L'on allait se refaire un estomac tout neuf Avec de bonne soupe au lard et de bon boeuf! O soupe! ô grasse soupe! opulente préface! O soupe aux larges yeux nageant à la surface! O carottes! ô choux, légumes plantureux! Que c'est bon! Que c'est chaud, et doux, et savoureux! On bâfre, on souffle, on sur. Et déjà, tout le monde Tire, pour s'éponger, son mouchoir à la ronde. Mais la soupière est vide. Allons, Maharidic! Allons, Louizaik! allons, Mary-Jeannic! Et Renan, pour montrer que la soupe était bonne, Fit un rot qu sonna comme un coup de trombonne. Par politesse, alors, chacun en fit autant, Car, c'est après la soupe, un usage constant. La soupe dans le sac, notre bande affamée Tomba sur le bouilli, sur la vache fumée, Et sur le lard, servis avec leur complément, Le far de riz au four et le far de froment. Déjà l'on s'était mis à boire des bolées De cidre qu'on lampait à pleines écuellées. La barrique de cidre était là dans son coin! Avec sa clef de buis au derrière, ouic! et coin! Ouic! ouic! elle geignait, vous dis-je, à sa manière, Tant on la tourmentait, la pauvre tetonnière! Car, du train qu'ils allaient, les treize biberons, C'en serait vite fait de la mère aux flancs ronds. Mais la voici! voici l'andouille qu'on apporte! On la sent bien avant qu'elle ait franchi la porte. Très digne, Maharit s'avance sur le seuil; Elle est émue. Et c'est toute rouge d'orgueil Qu'elle porte à deux mains l'immense plat ovale Où git, tout de son long, l'andouille triomphale. Sur un lit de far-sac'h elle dort mollement, Far-sac'h exquis, far-sac'h de blé noir et froment, Pudding breton, bourré de ces énormes prunes Qui marbrent le fond gris de larges taches brunes. Ah! tonnerre! du coup les langues vont leur train. On se pousse du coude, on boit avec entrain. Hardi! l'andouille est là, ruisselante de graisse, Et qu'elle est belle, et grosse, et grasse, la bougresse! (à suivre) Un peu de patience: la suite arrive... Lorsque le texte sera complet, j'apporterai en notes quelques précisions concernant les personnages de cette belle histoire ... La photo de la maison de Renan-le-Loup est bien évidemment actuelle, car elle existe toujours... | |
| | | Patrice Ciréfice super posteur
Nombre de messages : 3411 Localisation : Brasparts Date d'inscription : 09/02/2009
| Sujet: Re: L'andouille du recteur par Frédéric Le Guyader Jeu 23 Sep - 18:54 | |
| Le Festin de l'andouille (suite)
Renan, sans plus tarder, mit le couteau dedans. Les douze compagnons, avec des yeux ardents, Voyaient se détacher, sous la lame luisante, Les tronçons succulents de l'andouille gisante. Mais qu'a-t-il donc? Qu'a-t-il trouvé de surprenant? Allons, va jusqu'au bout! coupe et tranche, Renan! Non... sa main tremble: il est tout blême. Il sonde, il fouille... Et, très piteusement, il tire de l'andouille Un long brochon de bois, couvert d'un parchemin; Lequel, tout déroulé, passa de main en main.
Et l'illustre Tuyau, savant comme Colline, Lut ces deux vers boîteux d'allure sibylline: “Dreberien boezelloù, “Diwal't d'ho boezelloù!”
“Ouais! dit le brigadier, qu'est-ce que ça veut dire?” Et Tuyau, sur le champ, s'empressa de traduire: “Mangeurs de boyaux, “Gare à vos boyaux!”
- “Parbleu, Renan! Cria Tuyau, la farce est bonne! “Mais celle-ci, vieux loup, ne trompera personne! “Tu veux manger l'andouille à toi tout seul. Eh bien, “Tapons ferme dessus, et qu'il n'en reste rien!
- “Tapons dessus!” Ce fut le cri des douze apôtres. Et chacun se servit, Renan comme les autres. Or, les autres mangeaient de bon coeur, sans souci, Riant, la bouche pleine. Et lui riait aussi, Mais très jaune, la peur le prenant aux entrailles... Et comme Balthazar voyait sur les murailles Flamboyer les trois mots vengeurs, Renan-le-Loup Lisait partout ces mots “Debrerien boezelloù!”
“Ils vont tous en crever! dit l'infernal compère. “Tant pis! Je ne vais pas faire comme eux, j'espère! “Au diable mon morceau d'andouille! Eh oui parbleu! “Ma part au chien! Ceux-ci n'y verront que du feu.” Aussitôt, saisissant la minute opportune, Il vida son assiette... O la bonne fortune! Turc arriva d'un bond, vous happa le morceau D'une goulée, et s'en pourlècha le museau.
Cependant, on passait à d'autres exercices: On venait de servir un grand plat de saucisses Toutes roses, nageant dans une sauce d'or. Deux plats de boudins frits complétaient le décor, Dont les flancs craquelés, pleins d'herbes succulentes, Faisaient comme un bouquet d'odeurs affriolantes.
Pardieu! nos festoyeurs furent bien étonnés, Quand le plat de boudins leur passa sous le nez, De voir le brigadier, le héros de la fête, Refuser carrément, et détourner la tête. Depuis un bon moment, il ne gasconnait plus. Oui, lui, le fort des forts, le goulu des goulus, Il restait là, muet, tout pâle, sans haleine, Plus mort que vif devant son assiette encor pleine. “Mordioux! dit le Gascon, je ne sais ce que j'ai. “Mais, positivement, j'ai le corps dérangé.” “- Diantre! Se dit Renan, l'affaire se complique. “Me voilà propre avec l'andouille diabolique! “Ils vont tous en crever, c'est sûr!”
Et justement, Le notaire et l'huissier, dans le même moment, Roulaient de gros yeux blancs, en se tenant le ventre. Et puis, ce fut le tour du maire... Diantre! diantre!
“Debrerien boezelloù! Diwal't d'ho boezelloù!”
“Bah! dit Renan, tant pis pour ces goinfres en somme! “Qu'ils crèvent! Quant à moi, je suis sauf!” Or, notre homme Ruminait en son coeur ces pensers déloyaux, Quand il sentit passer, à travers ses boyaux, Comme un coup de rasoir lui fendant la bedaine... O révélation foudroyante et soudaine! Le cidre, et non l'andouille, était empoisonné! “- Je suis mort! dit le vieux drôle, je suis damné!”
Tout d'un coup, brouff! avec un fracas formidable, On vit le brigadier qui se levait de table. Il jeta son képi, défit son ceinturon, Descendit l'escalier à grand bruit d'éperon, Renversa Maharit au seuil de sa cuisine, Et, mourant, se traîna jusqu'à la cour voisine. Mais, déjà, sur ses pas, les bretelles en main, Cinq ou six festoyeurs avaient pris le chemin Que leur montrait si bien le chef de la brigade. Oh Dieu! dans l'escalier, quelle dégringolade! Quels geignements là-haut! L'agent-voyer râlait. Tuyau, sur le plancher, se roulait et hurlait. Quant à Renan, en proie à des douleurs atroces, Il avait tout un nid de couleuvres féroces Qui dans son ventre en feu grouillaient en se tordant, Sifflant dans ses boyaux, oui, sifflant, et mordant! O torture d'enfer! Chancelant et livide, Il se lève. Il regarde... Eh quoi, la chambre est vide?... Où sont-ils?... Ah pardienne, ils sont là, dans la cour; On les sent bien! - Alors il se hâte, il accourt, Il s'aligne, avec eux, le long de la muraille... Ah! jamais, non jamais, canons crachant mitraille, Jamais obus sifflant, jamais bombes crevant N'ont fait tant de fracas, de tonnerre, et de vent, Que nos bâfreurs d'andouille, en ce jour mémorable...
Or, pendant qu'expulsant la purge inexorable, Ils étaient là, geignant, peinant à qui mieux mieux, Voici qu'un gros visage, à l'air tout radieux, Se montra par dessus le mur du presbytère.
“- Eh bien, dit Tonton Jean, que dit-on du clystère? “Comment a-t-on trouvé le cidre du tonton? “Et toi, là-bas, toi, l'homme à la peau de mouton, “Tu te caches, vieux loup? Tu te voiles la face? “Hein, la purge était bonne, ami?...Grand bien te fasse!...” Note explicative: deux petites précisions pour la compréhension du texte- savant comme Colline: Gustave-Léon dit Jean Wallon, 1821-1882, était un écrivain, philosophe et théologien catholique français représentant de la bohème et critique du socialisme. Il fut immortalisé par Henri Murger dans les Scènes de la vie de bohème sous le nom de Gustave Colline. Colline est un savant aux poches profondes, bourrées de livres et même de dictionnaires. (Le nom du personnage a sans doute été choisi en faveur d'un jeu de mots entre la "colline" et le "vallon"). - “Les trois mots vengeurs de Baltahzar” est une allusion à la " Tragédie espagnole " de Thomas Kyde, publiée en 1592, qui fut l'une des pièces les plus populaires du répertoire élisabéthain, ce qui n'empêcha pas son auteur de mourir dans la misère après des accusations d’athéisme qui lui valurent emprisonnement et torture. Cette pièce se passe en Espagne au XVIe siècle. Un père, Hieronimo, cherche à venger le meurtre de son fils Horatio, dont les meurtriers sont Lorenzo, fils du duc de Castille, dont Hieronimo est le conseiller, et Balthazar, fils du vice-roi du Portugal. Balthazar est également responsable de la mort, à la guerre, d'un jeune noble espagnol Don Andrea, dont le fantôme, accompagné de la figure de la Vengeance, ponctue chaque acte de la pièce d’un commentaire chorique, enattendant la vengeance de sa propre mort, seul moyen d’apaiser et de soigner son âme. Le père va s'appuyer sur trois citations pour justifier sa vengeance, des citations détournées de leur contexte initial. Par exemple "Vindicta mihi!" (La vengeance est mienne!), extraite de l'Epitre aux Romains, qui défend aux hommes de se faire justice eux-mêmes puisque seul Dieu a le pouvoir d'exercer la vengeance. Sortie de ce contexte, cette citation devient un argument pour le vengeur... | |
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