La troupe constituée des bénévoles de la bibliothèque Frédéric Le Guyader de Brasparts a, de fort belle manière, interprété une saynète extraite de "La Chanson du Cidre".
Ce texte peut surprendre, notamment par sa présentation des deux beaux villages que sont devenus Saint-Rivoal et Botmeur ... Mais en 1840, la réalité était bien différente de celle d'aujourd'hui, et notre montagne particulièrement rude ...
Et puis, ce texte célèbre a gardé toute sa dynamique et sa joie ... Alors, souvenons-nous que la poésie de Le Guyader doit se lire "dans une salle haute et claire, à voix haute, à voix claire : odeurs de genêts et de houx."
Botmeur répondait parfaitement à cette définition ....Le Pater de Saint-RivoalSaint Rivoal et Botmeur, perdus dans la montagne,
Sont bien les bourgs les plus tristes de la Bretagne.
Quelques taudis, épars, autour d'un clocher gris.
Point d'arbres. Si ce n'est trois vieux ifs rabougris,
Qui se meurent, le long des murs du cimetière.
Ça et là, de grands blocs, couchés dans la bruyère.
Des blés noirs tout petits. Des seigles avortons.
Un sol pierreux, où des centaines de moutons
Broutent dans le silence, et dans la solitude.
Un pays tout entier, plongé dans l'hébétude,
Figé, mort, loin du bruit, loin de toute rumeur.
Voilà pour Saint-Rivoal, moins triste que Botmeur.
Quant à Botmeur, il semble, avec ses toits de chaume,
Un village lacustre, aux bords d'un Lac-fantôme,
Mais d'un lac desséché depuis des milliers d'ans.
Ce n'est plus qu'un marais funèbre ; et, là-dedans,
Sous la tourbe mouvante, effrayamment profonde,
Repose une forêt, vieille comme le monde.
Quand on voit, de plus près, non sans émotion,
Ce noir Marais, pays de désolation,
Où la mort plane, où rien ne peut vivre, où tout souffre,
On rêve de Sodome, et de sa mer de soufre ;
Et, peut-être qu'au lieu d'arbres ensevelis,
C'est un peuple de morts qui dort là, sous ses plis.
Or, chacun des deux bourgs, fort voisins l'un de l'autre,
Avait son desservant. C'étaient deux cœurs d'apôtre,
Humbles, vivant de peu, parmi des indigents,
Deux vieux recteurs, deux vrais pasteurs de pauvres gens.
Ces exilés, privés de toute joie humaine,
S'aimaient, et se voyaient, une fois par semaine.
Trop peu riche, à Botmeur, pour nourrir un cheval,
Et trop vieux, pour se rendre à pied à Saint-Rivoal,
Le bon recteur, cloué par l'asthme et son grand âge,
Ne sortait presque plus de son vieil Ermitage.
Mais le recteur de Saint-Rivoal, chaque mardi,
Fidèle à l'Angélus, arrivait, vers midi,
A Botmeur, et « mangeait la soupe » au presbytère.
La soupe, bœuf et lard, quelques pommes de terre,
Un bon verre de vin. C'était tout le menu.
Mais quel festin d'amis ! Aussi, le jour venu,
Quant, au loin, sur la route, on ne voyait personne,
L'Angélus de Botmeur semblait un glas qui sonne ;
Et le pauvre recteur, tout seul, silencieux,
Se renfermait chez lui, les larmes presque aux yeux.
Triste, sans appétit, il se mettait à table.
Mais le vin était plat, le festin lamentable ;
Le bon pain bis, lui-même, avait un goût amer.
Et le Marais fatal, vaste comme une mer,
Qui se perdait, là-bas, sous ses yeux, dans la brume,
Lui semblait plus funeste encor que de coutume.
Or, allant vers Botmeur, son bâton à la main,
Le bon recteur trouvait toujours, sur son chemin,
Chaque mardi, quand il traversait cette Islande,
Un pâtre qui gardait ses moutons, dans la lande.
Le pâtre et le recteur, autant qu'il est permis
En leur état, étaient devenus grands amis.
Le pauvre petit pâtre avait
quinze ans peut-être.
Il était gai, dans sa misère. Et le vieux prêtre
Riait de sa vaillance, et de sa bonne humeur.
Il en parlait souvent au recteur de Botmeur :
Car le cas était grave. Et ce petit bonhomme,
Intéressant, d 'ailleurs, et doux, n'était, en somme,
Qu'une espèce d'enfant de sauvage, un païen,
Ne sachant ni Pater, ni catéchisme, rien !
Fanchic avait
quinze ans. C'était un petit brave,
Un gas de la montagne, un pâtre déjà grave,
Connaissant son métier de gardeur de moutons.
Fanchic avait souvent affaire aux loups gloutons,
Aux bandits détrousseurs des montagnes d'Arrée,
Grands seigneurs, souverains de toute une contrée
Qui va de Brennilis jusqu'au bourg de Sizun.
Il savait son troupeau, par cœur, comme pas un.
On l'appelait Fanchic-ar-c'hleier, l'homme aux cloches.
Voici pourquoi. Fanchic, comme tant d'autres mioches,
Avait la morve au nez ; et, faute de mouchoir,
La morve de Fanchic, lourde, et tendant à choir,
Lui pendait sous le nez comme deux belles cloches.
Il n'aurait pas fait beau lui flanquer des taloches
Sous le nez. Ce nez_là, tout seul, se défendait
Avec son carillon de cloches qui pendait.
De temps en temps, Fanchic-ar-c'leier, d'un beau geste,
Torchait sa morve sur les manches de sa veste.
C'est primitif. C'est simple, et court. Ce quoi faisant,
La veste de Fanchic avait du reluisant,
Veste de tous les jours, et veste des dimanches,
La pauvre veste avait deux miroirs sur les manches.
Mais, avec tout cela, mon Fanchic-ar-c'hleier
Ne savait pas encore un mot de son Pater.
Le recteur en avait tout l'esprit en déroute.
Chaque fois qu'il trouvait le pâtre sur sa route,
Il se disait : « Comment apprendre son Pater
A ce drôle ? » A la fin, le subtil magister
A force de chercher, trouva, dans sa cervelle,
Une méthode simple, assurément nouvelle,
Pour faire de Fanchic la moitié d'un chrétien.
Il avait remarqué que le petit païen
Connaissait son troupeau, le dénombrant par tête,
Sans se tromper, donnant un nom à chaque bête.
Le recteur, bravement, changea les noms bretons
En latin ; il choisit, d'abord, quatre moutons,
Et leur donna des noms que l'enfant retint vite.
Le premier s'appela : « Pater noster ». Ensuite,
Vint « Qui es in coelis » ; puis, « Sanctificetur » ;
Et puis « Nomen tuum ». Fanchic trouva très dur
De changer les surnoms qu'il donnait à ses bêtes.
Ses formules, à lui, plus franches, et plus nettes,
Se comprenaient : « Penn-du, Tad-coz, Breur-Iguilé ».
Mais le recteur tint bon, et l'eut bientôt stylé,
D'autant qu'il lui fourrait des pommes plein ses poches.
Si bien qu'au bout de six semaines, l'homme aux cloches
Savait tout son Pater, et vous le récitait
En bon chrétien, en bon Bas-Breton qu'il était.
Le prêtre, radieux, savourait sa victoire,
Enchanté de son œuvre, œuvre bien méritoire,
Car Fanchic, jusque là, plus bête qu'un mouton,
A peine bégayait quelques mots de breton.
Or, un mardi, le prêtre, ainsi qu'à l'ordinaire,
Marchait, de son bon pas de septuagénaire,
Réglant sa marche sur l'Angélus de midi.
Fanchic, très amateur des pommes du mardi,
Le vit venir avec un plaisir manifeste.
Il se torcha le nez aux manches de sa veste,
Et, très brave, attendit l'heure de la leçon.
« Eh bien, dit le recteur, que dis-tu, mon garçon ?
« T'es-tu mouché le nez ? Oui, je vois qu'il en reste
« Une assez belle part aux manches de ta veste.
« Il faudra bien que nous corrigions ce défaut.
« Pour le moment, c'est ta prière qu'il nous faut.
« Allons, Fanchic, dis ta prière. Je t'écoute.
Et Fanchic, commença, chapeau bas, sur la route :
« Pater noster, qui es in coelis, nomen tu...
« - Comment, nomen tuum ? Dit le prêtre, où cours-tu ?
« Ah ! Je crois qu'aujourd'hui, tu n'auras point de pomme !
« Et « Sanctificetur », qu'en fais-tu, mon bonhomme !
« - Oh ! Sanctificetur, dit le petit, tout fier,
« Le loup me l'a mangé dans la nuit d'avant-hier. »