Le public et le beau temps étaient au rendez-vous pour la saynette jouée hier après-midi dans la cour de la bibliothèque dans le cadre de la journée Frédéric Le Guyader. Une saynette appréciée de tous, où les acteurs, tous bénévoles, ont su apporter une belle touche d'humour, parfaitement dans l'esprit du poète braspartiate...
Le texte choisi, "Le lutrin de Monseigneur Graveran", adapté et mis en scène par Gwenola, avec la participation de tous, est extrait de "La Chanson du Cidre"; les costumières, Annick et Gwenola, mais aussi les acteurs qui ont revêtu de beaux atours d'autrefois, ont su égayer cette saynette sympathique... dont voici le texte pour ceux qui n'ont pas eu le plaisir d'assister au spectacle, ou ceux qui voudraient le relire au repos.
Merci aussi à Nicole et à tous ceux qui ont si bien entonné "La Chanson de Brasparts"!
(photo: Tifenn Vigouroux)
(photo: Tifenn Vigouroux)
Un jour, Perr-ar-C'hloïer, le bedeau de Braspart,
Et son illustre ami, dont j'ai fait, quelque part,
Un portrait fort brutal, mais véridique en somme,
Car ce Renan-le-Loup était un diable d'homme,
Un très original et têtu bas-breton,
Qui s'affublait toujours d'une peau de mouton.
Un jour, Perr et Renan s'ennuyant au village,
Complotèrent entre eux de faire un grand voyage.
L'entreprise était folle, et le but très lointain :
Il s'agissait d'aller à Quimper-Corentin !
Ah! de nos jours, pardieu! cela ne compte guère.
Mais nos bons ascendants voyageaient peu naguère,
Quoi qu'on eût fait, pour eux, avec ses six relais,
La grand'route qui va de Quimper à Morlaix.
D'ailleurs, peu soucieux du progrès, nos deux hommes
Ne voyageaient qu'à pied, étant très économes.
De plus, les bonnes gens de Brasparts sont des gens
Très attachés au sol, casaniers, point changeants,
Restant chez eux, s'aimant comme cousins cousines,
Et fréquentant très peu les paroisses voisines.
On cite, cependant, quelques audacieux
Qui, jusqu'à Châteaulin, bien loin, sous d'autres cieux,
Colportent les produits du mont et de la plaine,
Soit le beurre, les oeufs, les guignes et la laine.
Quant à nos pèlerins, le jour de leur départ,
Ils n'avaient jamais vu que le bourg de Braspart.
Quimper était pour eux une cité lointaine,
A moitié fabuleuse et peut être incertaine,
Existant quelque part, on ne savait juste où,
Comme qui dirait bien La Mecque ou Tombouctou,
Cité vaste, d'ailleurs, cité très magnifique,
Jouissant d'un Préfet, vice-roi mirifique,
Tout habillé d'argent, mais moins superbe encor
Que l'Evêque, coiffé d'un bonnet tout en or.
Ce fut un vendredi, fort tard, la nuit venue,
Que le couple atteignit la grand'ville inconnue.
Ils arrivaient très las, les bas sur le talon.
Ajoutons que, marchant sous un soleil de plomb,
On avait chopiné tout le long de la route.
Le matin, à Ty-Guenn, en cassant une croûte,
Il avait fallu boire et s'arroser le bec.
(photo: Tifenn Vigouroux)
A Pleyben, chez Floc'hlay, nos deux gosiers à sec
Avaient ingurgité de très fortes bolées.
Après, comptez combien d'auberges isolées,
Entre le Pont-Caublanc et le bourg de Briec.
D'abord Gargantua, qui se trouve en Gouézec,
Et puis ce coupe-gorge affreux des Trois-Fontaines,
Très fréquenté, la nuit, par des Croquemitaines.
A Briec, on dut boire un coup chez Pétillon,
Deux ou trois chez Maguer, quatre chez Darcillon;
Puis l'on toucha Ty-Ruz, le Pénity, bien d'autres
Dont j'ai perdu les noms, mais dont nos bons apôtres
Ne laissèrent passer aucun sans boire un coup.
Donc, ayant cheminé longtemps et bu beaucoup,
Maîtres Perr et Renan se pourvurent d'un gîte.
Et ronds comme boudins, s'endormirent très vite.
(photo: Tifenn Vigouroux)
Le lendemain, après douze heure de repos,
Nos gaillards, bien lestés de soupe et très dispos,
Visitèrent la ville, et furent tout moroses
De voir que la légende avait enflé les choses.
Ah! le Quimper d'antan, causons un peu de lui.
Ce n'était plus alors le Quimper d'aujourd'hui.
C'était Quimper-le-Vieux, Quimper-Corisopite,
Dont l'historique sol sous le pavé palpite,
Se souvenant d'avoir, dans le passé si long,
Vu règner les Césars, et vu trôner Grallon.
C'était la ville-vieille, un peu prude, un peu grise,
Idéalement calme et de repos éprise,
Voyant couler le temps aussi tranquille et doux
Que les eaux de l'Odet sur leur lit de cailloux. (...)
Parmi tous ces logis, la cathédrale seule
Gardait superbement sa jeunesse d'aïeule.
Un homme de grand coeur et de grande raison,
Monseigneur Graveran, Crozonais de Crozon,
Etait alors, selon la formule d'usage,
Evêque de Quimper et de Léon. Ce sage,
Ce modeste prélat, ce pasteur simple et doux,
Vrai Myriel breton, est mort pleuré de tous.
(photo: Tifenn Vigouroux)
Monseigneur Graveran aimait sa cathédrale,
Comme un bon amiral sa frégate amirale.
Son vaisseau lui plaisait: c'était tout son orgueil;
Mais les flèches manquaient à la mâture en deuil.
Alors, il fit appel à toutes ses ouailles:
Et les sous du Léon, les sous de Cornouailles,
Tombèrent dru, si dru, dans les vieux plats d'étain,
Qu'on acheva ses tours au grand saint Corentin (...)
Ici, nous retrouvons maîtres Renan et Perr.
Nos pèlerins avaient parcouru tout Quimper,
Quand, enfin, arrivés devant la cathédrale,
On les vit, chapeau bas, sous la porte centrale,
Hésiter, se signer, puis entrer bravement.
(photo: Tifenn Vigouroux)
L'immense église était déserte en ce moment.
Un absolu silence, un silence plein d'ombre,
Tombait, pesant, du haut des arcades sans nombre,
Et ce silence avait quelque chose de froid,
Qui leur mettait au coeur comme un frisson d'effroi. (...)
C'est ainsi qu'ils allaient, quand, par les bas-côtés,
Un groupe endimanché, venu pour un baptême,
Entra. Bientôt après, l'officiant lui-même,
Vint, suivi d'un enfant de choeur et d'un bedeau.
Le marmot, qu'on allait bourrer de sel et d'eau,
Comme s'il eût déjà pressenti son supplice,
Les poings crispés, criait aux mains de sa nourrice.
(photo: Tifenn Vigouroux)
Pendant qu'autour de lui les gens allaient leur train,
Deux chantres chevrotants s'asseyaient au lutrin,
Chantres enchifrenés, lamentables et blêmes,
De ceux que l'on emploie aux tout petits baptêmes.
(photos: Tifenn Vigouroux)
Or, comme ils entonnaient le « Te Deum » vainqueur,
Sans souffle, sans poumons, sans courage et sans coeur,
Chantant du nez, très faux, les deux faisant la paire,
Maître Renan poussa du coude son compère:
« Peuh! Dit-il, ces gens-là n'iront pas jusqu'au bout.
« Viens, fils! », et les voilà tous deux, plantés debout
Devant le grand pupitre où les deux mercenaires
Crachaient péniblement leurs versets poitrinaires.
(photo: Tifenn Vigouroux)
Ah! jourdedi! Du coup, l'hymne changea de ton!
Renan, les bras croisés sous sa peau de mouton,
Dressant son buste fort et sa face rougeaude,
Lâcha toute sa voix, tonitruante et chaude,
A pleine gueule, ainsi qu'un taureau mugissant.
Les vitraux, secoués par ce souffle puissant,
Dans leurs gaines de plomb grincèrent et frémirent.
Au fond, les longs tuyaux des orgues en gémirent:
Et l'édifice entier, si calme auparavant,
Trembla, comme ébranlé par un grand coup de vent.
Une voix cependant perçait dans la tempête:
C'était Perr, maître Perr, qui, de sa voix de tête,
Ténor ténorinant, chantait à l'unisson,
Comme une clarinette auprès d'un gros basson.
Quant aux chantres poussifs, hélas! les pauvres diables
Baissaient sous l'ouragan leurs nuques pitoyables,
Tout grelottants de peur, croyant que Lucifer
Conduisait derrière eux ce « Te Deum » d'enfer.
Tandis que se passaient ces dramatiques choses,
Monseigneur Graveran, tout entier à ses roses,
Se promenait dans son jardin en gros sabots.
Jamais ses chers rosiers n'avaient été si beaux;
Et, l'arrosoir en main, le vénérable apôtre
Leur souriait, en les servant l'un après l'autre.
(photo: Tifenn Vigouroux)
L'atmosphère était douce et le soleil clément.
Partout la paix. Hélas! c'est juste à ce moment
Que Perric et Renan, nos deux fiers partenaires,
S'amusaient à remplir l'église de tonnerres...
L'évêque au beau milieu du jardin s'arrêta.
Pâle, inquiet, dressant la tête, il écouta.
D'où venaient ces rumeurs? sans doute de la place?
Non! de l'église!... Alors, c'était la populace?
C'était l'émeute encor prête à tout saccager?...
L'évêque, en bon soldat, courut droit au danger.
La soutane défaite, en sabots, hors d'haleine,
Il arrive, croyant sa cathédrale pleine.
Et que voit-il, bon Dieu? Deux chantres au lutrin!
Deux chantres! rien que deux pour mener un tel train!
(photo: Tifenn Vigouroux)
C'est du prodige. Alors il admire, il savoure
Ce couple montagnard, crâne et plein de bravoure,
Ces deux robustes gas, campés solidement,
Qui, sans savoir chanter, chantent splendidement. (...)
Monseigneur Graveran les écoutait encor,
Quand le dernier verset, dans un dernier accord,
Comme une vague énorme élargissant ses ondes,
Expira longuement sous les voûtes profondes.
Nos chantres satisfaits, reprenaient leur chemin,
Et, très fiers, s'en allaient, leur penn-baz la main,
Sans réclamer aucun salaire pour leur rôle,
Quand l'évêque, après eux, leur frappa sur l'épaule:...
“Mes compliments, dit-il; mais d'où donc êtes-vous?
“- Du pays de Braspart. - Ah! du pays des loups?
“Tout juste, Monseigneur. -Je connais la contrée,
Dit l'évêque, “et j'ai vu les montagnes d'Arrée,
“Où l'on rencontre autant de loups que de moutons,
“Mais je ne savais point qu'en vos lointains cantons
“On trouvait au lutrin des gas de votre taille.
“Or, mon lutrin à moi, manque de basse-taille.
“Mes ténors sont poussifs, et mes vieux barytons
“Sont fêlés du gosier comme des mirlitons.
“Je vous garde. -Oh! que non, Monseigneur! - Chose faite
“Vous dis-je, c'est demain dimanche, grande fête.
“Vous chanterez ici demain, après-demain,
“Toujours... C'est dit. Allons, topez là, dans ma main!
“Douze cents francs chacun et vous êtes mes hommes!
“- Impossible! - Impossible?... - Oui, Monseigneur, nous sommes
“De Braspart: ce sol-là, voyez-vous, c'est charmeur:
“Quand on naît là-dessus, on y vit, on y meurt.
“- Mes gaillards, vous avez des têtes basses-brêtes!
“Eh bien ce sera donc six cents écus par an.
“Vous entendez? Reprit Monseigneur Graveran,
“Dix huit cents francs tout rond, comme mes Grands-Vicaires!
“- Six cents écus! Bon Dieu, nous ne les valons guères.
“Merci, non, Monseigneur. C'est trop d'honneur pour nous,
“Adieu: nous retournons dans le Pays des Loups...”
Encore une fois, merci à tous pour cette belle après-midi!
(photo: Tifenn Vigouroux)