“La perte de la mémoire du passé est sans doute la pire infortune qui puisse frapper un peuple ainsi qu'un individu”, disait Ferdinand Lot.
Aujourd'hui, 16 août 2013, nous sommes de nouveau rassemblés pour nous souvenir, pour garder vivant en nos cœurs le sacrifice de nos aînés, pour saluer les héros de la Résistance tués lors des combats menés contre l'envahisseur entre juin et août 1944.
Souvenons-nous du sacrifice suprême des 18 héros morts chez nous :
René Caro, tué à Lannédern et qui donna son nom au bataillon de nos résistants ; François Cleuziou, tué à Bodriec le 30 juin ; Pierre Baron, Georges Salaün, Jean Bernard, Michel Cloarec, François Keruzoré, et Camille Omnès, tombés tous les 6 au Nivot le 3 août ; Guillaume Tallec et Etienne Bleuze, tués à Brasparts le 7 août ; François Cochonnec, tombé à Saint Rivoal le 9 août ; Gabriel Floc'h, Yves Herrou et René Pierre Franquart, tombés à Brasparts le 16 août, et Suzanne Le Corre, tuée le même jour ; Paul Quéinnec, mort des suites de ses blessures en août ; Henri Le Gall, tombé à Lampaul le 25 août ; Jean Cavaloc, mort martyrisé à Châteaulin avec deux autres jeunes en ce même mois d'août ...
Avant de nous remémorer la journée du 16 août 1944, je vous invite à vous recueillir, et pour ceux qui le désirent, partager un moment de prière en souvenir de ces “Morts pour la France” ...
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Il y a soixante-neuf ans, Brasparts venait de fêter son premier Pardon de commune libérée.
Depuis le 3 août, la Bretagne est en insurrection; le 4, le général Koenig décide de mettre en place l'Etat-major qui doit prendre le commandement de l'ensemble des F.F.I. en Bretagne, ce qui est fait le soir même. Les maquis représentent alors 30 000 hommes armés, pour certains encadrés depuis le 6 juin par des SAS de la France Libre.
La percée américaine, favorisée par l'action des maquis, contraint les allemands à effectuer un large mouvement de repli vers Lorient, Brest, Crozon...
Le 6 août, les alliés rentrent dans Lesneven, le 7 août à Guipavas...
Les parachutistes allemands cherchent à repousser l'échéance par des combats retardateurs dans les montagnes noires et les monts d'Arrée. Mais ils sont morcelés, coupés, affolés par des maquisards qui pratiquent une guérilla qu'ils ne connaissent pas. Les vainqueurs de la Crète et de la Crimée deviennent une horde qui marquera son passage par sa férocité, ses pillages, ses viols et ses tortures : les morts du Huelgoat ou de Châteauneuf, celles de René Caro, de François Cleuziou ou de Jean Cavaloc en sont de sinistres exemples... Les villages autour du Nivot échappent par miracle à la destruction et au massacre...
Brest est encerclée... les combats se concentrent sur la ville et la presqu'île de Crozon... Les prisonniers allemands – pour l'essentiel soldats de cette division para – capturés à Saint Cadou, sont regroupés à Brasparts, commune qui semblent hors d'atteinte de l'ennemi. Leur moral, selon les témoignages, était bas ; ils étaient bien traités, même si la plupart avaient du quitter leurs bottes pour des boutou-koat...
La surprise est totale le 16 août, à 7 heures du matin, lorsque, venant de Saint Rivoal une colonne blindée arborant un drapeau français fait son entrée dans Brasparts.
Quelqu'un s'écrie : “Les Américains !” et beaucoup se précipitent pour saluer les libérateurs. “Une violente fusillade accueille les premiers vivats d'allégresse ... Ce ne sont pas les Américains, mais une compagnie parachutiste allemande, commandée par le lieutenant Lepkowski, et composée de 2 half-tracks américains saisis lors d'une embuscade près du Huelgoat début août, de 2 blindés légers, et de camions.
Cette colonne a profité d'un cessez-le-feu temporaire à Brest pour venir libérer leurs camarades et sur leur route ont multiplié les destructions de lignes téléphoniques, fait prisonnier deux maquisards du Tréhou, et emmené un jeune du Tréhou pour les guider de village en village jusqu'à Brasparts.
“Rapide, l'opération dura une heure. Surpris dans leur cantonnement de l'Ecole des Frères, 21 FFI, ayant à peine le temps d'esquisser un mouvement de résistance, sont cernés et capturés.”
L'attaque se porte ensuite sur le bourg et l'école publique ... “Se défendant comme de beaux diables, leurs trois camarades qui assurent la garde des prisonniers sont tués à leur poste de combat. Les visites domiciliaires se précipitent. Alertée par le bruit, Suzanne Le Corre entrouvre sa fenêtre. Un soldat allemand la fusille à bout portant..
Tous les hommes, jeunes et vieux, sont rassemblés sur la place, et à l'heure du départ”, les Allemands emmènent avec eux une vingtaine d'hommes parmi lesquels Yves Calvez, Joseph Boënnec, François Le Lann, André Creis, Yves et François Castel, Emile Treilland, Jean Louis Trividic, Jacques et Charles Tromeur, Yves Cadiou, Jean Goasguen, et l'abbé Ange Capitaine, soupçonné d'être l'aumônier des combattants de la clandestinité.
“Le retour sur Brest du convoi ne se fit pas sans incident. Alertés, les maquisards des environs attendaient le passage de la colonne blindée. De sérieux combats et accrochages eurent lieu à Irvillac et au Tréhou, entraînant la perte de 6 patriotes au Tréhou, de 16 autres à Irvillac...
Les prisonniers vont être transférés au Château de Brest sous les quolibets des soldats allemands, qui, “les dévisageant en riant, montraient du doigt l'abbé Capitaine en déclarant : “Ho, pastor terrorist”. Ils séjournèrent 12 jours à la prison du Château, dans un cachot de 15m², avant d'être transférés à la presqu'île de Crozon et conduits au camp militaire et civil de Rostellec où séjournaient déjà des Américains, dont un colonel, et des Anglais.
“Quelques jours plus tard, le colonel américain et trois FFI conduits par une infirmière de la Résistance s'évadaient pour prendre place dans le canot d'un pêcheur qui les conduisit à la pointe de l'Armorique, occupée par les troupes alliées.
Le 17 septembre, à 3 heures du matin, les soldats américains, conduits par un FFI, se présentaient à Rostellec, mettant fin à la captivité des prisonniers.”
Pour Brasparts qui les avaient cru fusillés, ce fut un miracle.
“L'honneur, disait Saint Exupéry, est rayonnement du sacrifice”: que cette journée du souvenir soit l'occasion de rendre un hommage solennel à ceux qui ont fait le sacrifice suprême pour conquérir la liberté. Nous allons maintenant déposer nos gerbes au pied de notre Monument, puis nous rejoindrons ensuite la stèle du Nivot pour commémorer les combats du 3 août 1944.
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"Dans un an , ce sera le 70ème anniversaire des combats de 44 . Si pour ceux qui les ont vécu , et ceux dont cette époque était leur enfance c’est encore proche , pour ceux qui sont nés après la guerre , ça parait plus lointain . Et pourtant notre pays en est toujours profondément marqué. Les nombreux monuments, les livres, les films, et, tout près de chez nous, les blockhaus en béton du mur de l’Atlantique, sont là pour nous le rappeler.
Nos deux peuples s’étaient combattus pendant des générations, car avant 14 -18 il y avait régulièrement des conflits , des guerres , et nos familles en furent marquées . Aujourd’hui nous vivons ensemble, dans la même Europe . Et pourtant notre histoire commune, notre longue histoire , dans la paix depuis 70 ans nous la devons à ceux qui se sont battus pour défendre des valeurs .
C’était l’armée avec nos alliés , mais aussi celle que l’on a appelé l’armée de l’ombre de ceux qui résistaient sur le terrain , ici et ailleurs . En ce début du mois d’août , ils se cachaient ici afin de préparer d’autres actions pour continuer à déstabiliser l’envahisseur . L’ennemi les a attaqué par surprise , un matin du mois d’août et Jean Bernard , Pierre Baron , Camille Omnès , Georges Salaun , Martial Cloarec , François Kéruzoré ont été tués . Nous associerons à leur mémoire celle de Jean Cavaloc .
Leur vie d’adulte commençait, mais ils avaient pris le risque de se battre , au risque de la perdre . C’était une période difficile pour tout le monde . Et pour ceux qui appartenaient à la résistance, au service de renseignement, elle était encore plus dangereuse.
L’habitude d’un quotidien pacifique, nous fait vite oublier que la démocratie se mérite et qu’il faut être vigilant pour la protéger .Depuis cette période, nous vivons en paix , et pourtant dans le monde , d’autres s’entretuent . Aujourd’hui c’est dans le monde arabe où une dictature en chasse une autre , et où le peuple souffre et meurt tous les jours .
La mémoire de ceux qui sont tombés ici / de ceux qui les accompagnaient et les aidaient /La mémoire de ceux qui sont passés dans les terribles camps de la morts, la mémoire des familles qui ont subit les conséquences de la guerre doit être présente en chacun de nous.
C’est notre devoir aujourd’hui d’être ici pour la respecter . C’est surtout notre devoir aujourd’hui de la transmettre afin de vivre demain dans la paix , la liberté , l’égalité et la fraternité .
Vive la France"
Mme Camille Omnès, nièce de l'un des Résistants tués au Nivot, entonna ensuite le "chant des partisans" ...
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photos de Anne Rolland)