Il n'était pas bon d'errer dans les landes de Saint-Michel les soirs de Toussaint ... La brume, la bruine, le vent, rendaient la marche difficile et il devenait rapidement impossible de s'orienter, la chapelle de l'archange disparaissant à la vue du voyageur. Pire encore, c'était le soir où an Aotrou Person venait se débarrasser des âmes des conjurés ...
Les “montagnards” refusaient d'ailleurs ce périlleux périple car ils en connaissaient bien les dangers. Les représentants de la Nation eux-même, en 1790, ne refusaient-ils pas de traverser les Montagnes d'Arrée pour rejoindre le chef-lieu du département à Quimper ?
Les “montagnards”, dont la réputation n'était plus à faire, étaient, selon les écrits de cette époque, de rudes gaillards, vêtus de bure d'un brun jaunâtre, c'est-à-dire de la couleur fauve de leurs montagnes. Ils portaient, sous leurs habits, un long gilet descendant jusqu'aux reins, en peau de mouton, la laine en dehors.
Toujours selon les dires anciens, “aussi sauvages que le pays où ils habitent”, les “montagnards” attribuaient un pouvoir surnaturel à certains individus, surtout lorsque ces individus vivaient isolément et avec singularité.
La présence de l'Ankou et celle de Paolig – Brasparts n'est-elle pas “aux portes de l'Enfer” ?- avaient grandement encouragé les habitants à édifier une chapelle à saint Michel pour les préserver de l'abîme. Et l'archange règnait sur ce pays de landes et de tourbières, où les rochers portent des noms oh combien symboliques : le dragon de saint Michel, Roc'h an Ankou, Roc'h Dialchlwez, la caverne des brigands ...
Et puis les habitants de Brasparts, laquelle commune comprenait également Saint-Rivoal et Botcador, aujourd'hui en Botmeur, croyaient aux conjurés du démon; et on accordait aux recteurs de Brasparts et de Saint-Rivoal le pouvoir de délivrer les possédés.
Pour atteindre ce résultat, le recteur devait ouvrir une bible dans trois endroits différents, lire en silence ces passages mystérieux, et laisser le livre ouvert. Lorsqu'il parvenait ensuite, malgré la résistance du conjuré, à faire sur lui le signe de la croix avec une branche de buis trempée dans de l'eau bénite et à lui jeter, comme un noeud coulant, son étole au cou, le démon, après s'être débattu dans d'horribles convulsions, tombait sans force aux pieds du prêtre, puis métamorphosé en barbet noir, sortait par la bouche de l'exorcisé.
Ces chiens, les recteurs les gardaient dans un lieu tenu secret, jusqu'au soir de Toussaint, avant de les mener vers la roche-sans-clef.
Les hommes de Dieu traversaient la lande, chacun de leur côté, mais toujours sous la protection de l'archange, et l'on dit que même les loups restaient terrés dans leurs tanières, en entendant les hurlements des barbets noirs.
Ils évitaient soigneusement les marais, formés d'une tourbe recouverte d'une croûte verdoyante qui dissimulait imparfaitement mille fondrières ; ce soir là, le pays était désert, et triste, et sombre.
Enfin, s'approchant de la roche avec précaution, ils pénétraient par la porte mystérrieuse de Roc'h Dialc'houez et projetaient les chiens dans l'entrée ouverte de Roc'h an Ankou.
Moment terrifiant : le recteur se plaquait au sol, soucieux d'éviter les flammes de l'enfer qui jaillissaient hors des rochers, tandis que la terre se mettait à trembler, le tonnerre à gronder et la pluie à tomber drue ...
Quand ils se redressaient, le calme revenu, les barbets avaient disparu dans les entrailles de Roc'h Kleguer ... et le lendemain, nos deux recteurs pouvaient célébrer en toute sérénité la messe des défunts, tandis que tout était redevenu normal dans le Yeun ...
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Selon d'autres versions, comme celle d'Anatole Le Bras, le recteur remettait les chiens au sacristain de la paroisse, qui le menait en laisse au Youdic. Bien évidemment, pendant le trajet, le conducteur ne devait parler à personne, et il lui était prescrit de se jeter à plat-ventre en approchant du gouffre, de ne regarder ni à droite ni à gauche, mais de tenir les yeux constamment fermés.
Quelques débris de fossiles, nous dit l'auteur, se rencontrent sur les bords ferrugineux du Youdic ; ils sont regardés comme les ossements des chiens dont les démons avaient pris la forme...