Le loup dans les montagnes d'Arrée ... Il y a plus d'un siècle que cet animal si redouté a disparu de nos campagnes. Les dernières traces sont liées à la toponymie (Creac'h Bleiz, Ty Blaize, Roc'h ar Bleiz ...) ; et puis il existe un musée du loup au Cloître Saint Thégonnec, ouvert tous les jours pendant l'été, de 14h à 18h.
Le loup est longtemps resté dans nos mémoires comme le plus grand ennemi de l'homme et les battues furent organisées jusqu'à l'extinction de cette race. Apparemment les derniers survécurent jusqu'à la Grande Guerre avant de disparaître de notre paysage.
Le « montagnard » n'hésitait pas à invoquer notre saint protecteur, abrité dans la chapelle du Menez Mikêl, et la sagesse populaire affirmait :
« Sant Mikêl vraz a oa an tu
D'ampich youal ar bleizi du »
et les voyageurs, les paysans, les bergers, et tous ceux qui traversaient les Monts d'Arrée prenaient bien garde de conserver à portée de vue tou au long de leur chemin l'image de la chapelle ...
Roc'h Bleiz est aujourd'hui bien calme et le loup de pierre reste figé dans la lande ... Chacun peut y accéder en toute liberté et admirer le site magnifique qui l'entoure ...
Pouvons-nous dater la montée « en pussance » des loups en Basse Bretagne ?
Le chanoine Moreau, témoin de la guerre de la Ligue en Bretagne, fut l'un des premiers à témoigner de la progression des loups dans notre pays. Je vous propose son texte, agrémenté de commentaires mis en italique :
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« L'année de la paix en Bretagne, qui fut l'année 1597, la cherté de vie fut fort grande en Bretagne, qui fut cause qu'un grand nombre du menu peuple, tant à la ville qu'aux champs, pâtirent beaucoup, et bonne partie moururent de nécessités, sans qu'il y eut moyen de les soulager, à cause de la ruine générale et la dépopulation des champs par les gens de guerre ; et fut la misère si grande ès quatre années quinze, seize, dix-sept, dix-huit, par les quatre fléaux de Dieu, par lesquels il châtie son peuple contre lequel il est irrité, guerre, peste, famine et bêtes farouches, que tous quatre s'entresuivirent pendant le cours de quatre années, comme étant subordonnés à la désolation des hommes.
“
En ces années, écrit l'abbé Lucas de Lanvellec, l'impie soldat prend tout pour lui et pille tout, sauf ce qu'il ne peut pas trouver. Il n'y a aujourd'hui rien de plus mauvais qu'un soldat : aucun loup, aucun sanglier sauvage même n'est pire que lui. Il met en pièces les corps de nombreux chrétiens, enlève les richesses de toutes sortes et tourmente les Bretons par la prison, les flammes, les tourments et le viol. Dieu tout puissant éloignerait de nous toutes ces horreurs si chacun voulait considérer tous ces crimes honteux commis comme on le dit et ma paix naîtrait alors en toute certitude...”
La guerre apporta la famine, puis la peste à ce qui échappoit à la cruauté des soldats, ou plutôt des brigands, devant lesquels quelques-uns pouvoient échapper et se cacher en quelques haies ou garennes, mais contre la faim il n'y avoit point de fuite, car personne n'avoit la liberté d'aller à la maison, où il n'eût trouvé que les murailles, le tout étant emporté par les gens de guerre, si bien que les pauvres gens n'avoient pour retraite que les buissons où ils languissoient pour quelques jours, mangeant de la vinette (
oseille sauvage) et autres herbages aigrets, et même n'avoient moyen de faire aucun feu crainte d'être découverts par l'indice de la fumée, et ainsi mouroient dedans les parcs et fossés, où les loups les trouvant morts s'accoutumèrent si bien à la chair humaine que, dans la suite, pendant l'espace de sept à huit ans, ils attaquèrent les hommes étant même armés, et personne n'osoit aller seul. Quant aux femmes et enfants, il les falloit enfermer dedans les maisons ; car, si quelqu'un ouvroit les portes, il étoit le plus souvent happé jusques dans la maison ; et s'est trouvé plusieurs femmes, au sortir auprès de leurs portes pour faire de l'eau, avoir eu la gorge coupée sans pouvoir crier à leurs maris, qui n'étoient qu'à trois pas d'elles, même en plein jour.
(La vérité de ce triste tableau semble confirmée par le témoignage du receveur de la seigneurie du Rusquec en Loqueffret, lequel s'excuse de ne rien apporter en recette sur ce que “les métayers, colons et serviteurs desdites terres avoient pour la plupart quitté et abandonné lesdites terres et convenants, s'étant retirés du pays la plus grande partie, autre morte de famine, pestilence, férocité des loups, autres devenant insolvables et réduits en telle extrémité et pauvreté qu'ils n'avoient le pouvoir de payer aucune chose, le tout par le malheur des guerres civiles et maladies contagieuses qui ont eu cours au temps de la dite charge, ... chose si notoire que on n'en peut ignorer” in Bulletin SAF 1874-75 p 117) Il est impossible de rapporter par écrit toutes les pauvretés que nous avons vues et souffertes en Cornouaille, et, s'il étoit possible de les raconter, on les estimeroit des fables et non des vérités, et à peine peut-on dire laquelle desdites quatre persécutions auroit plus affligée le pays ; et combien qu'il sembleroit peut-être que celle des loups étoit plus évitable, parce qu'ils n'étoient en si grand nombre, néanmoins c'est chose horrible à réciter ce qu'ils faisoient de maux.
Dès le commencement de leur furieux ravage, ils ne laissèrent dans les villages aucuns chiens, comme si par leur instinct naturel ils eussent projeté qu'ayant tué les gardes qui sont les chiens, ils auroient bon marché des choses gardées ; et avoient cette finesse que quand il y avoit quelques mauvais chiens en un village et de défense, ils fussent venus en bande vers le village, et se fût l'un d'eux avancé jusques à bien près de la maison. Les autres demeuroient un peu cachés derrière comme en embuscades ; celui qui s'étoit avancé, se sentant découvert par le chien et suivi, se retiroit d'où il étoit venu, jusques à ce qu'il l'eût attiré aux embûches, et lors tous ensemble se ruoient sur le chien et le mettoient en place.
Telles ruses de ces bêtes sont à peu près semblables à celles de la guerre, et mirent dans l'esprit du simple peuple une opinion que ce n'étoient pas loups naturels, mais que c'étoient des soldats déjà morts, qui étoient ressuscités en forme de loups, pour, par la permission de Dieu, affliger les vivants et les morts, et communément, parmi le menu peuple, les appeloient-ils en leur breton, tut-bleis ; ou que c'étaient des sorciers en ce pays comme en plusieurs autres contrées de France.
(L'invasion des loups fut à peu près générale en France. On lutta comme on put : le 26 septembre 1599 le roi octroyait au sieur de Coëtnisan la faculté de “faire assembler et huer sur les loups” aux environs de ses terres et de faire porter arquebuses à ses tenanciers le jour des assemblées ; le 12 janvier précédant un arrêt du Parlement prescrivait à tous les juges royaux et aux hauts justiciers de faire la chasse aux loups “qui dévoraient les hommes et le bestial”)Cette dernière raison n'eût été hors de propos, attendu que les plus graves auteurs disent que les sorciers sont des anthropophages ou mangeurs de chair humaine, et surtout de la chair des petits enfants sans baptême. Ainsi ces cruels animaux, combien qu'ils assaillissent indiféremment tout âge et sexe les trouvant à leur commodité, néanmoins ils poursuivoient avec plus grande fureur une femme grosse qu'une autre, à laquelle ils fendoient le ventre en un instant, et lui troient le fruit, laissant la pauvre femme toute palpitante, s'ils n'avoient pas le loisir de manger la mère et l'enfant.
Une honnête femme de Kerfeunteun, pressée d'accoucher, un certain jour de marché, sortant par la porte Bihan, à dix ou douze pas de la porte, fut en plein jour éventrée, et son enfant tiré et emporté, et cependant il y avoit du monde après et devant. Ceux de devant ne virent rien, parce qu'elle ne jeta aucun cri ; ceux du derrière qui virent ne surent être assez à temps, tant cela fut expédié bien promptement par un seul loup.
La paix faite, les portes de la ville de Quimper demeuroient ouvertes et les loups se promenoient toutes les nuits par la ville jusques au matin, et, aux jours de marché, les venderesses de pain et autres regrattières qui se levoient matin pour prendre leurs places les ont souvent trouvés autour du Chastel et ailleurs, et emportopient la plupart des chiens qu'ils trouvoient la nuit sur la rue. La nuit, ils blessoient plusieurs personnes sur la rue au milieu de la ville, et, sans le secours et cri que l'on faisoit criant au loup, ils les eussent mangés. Ils avoient cette finesse de prendre toujours à la gorge, si faire se pouvoit, pour les empêcher de crier, et, s'ils avoient loisir, ils savoient dépouiller sans endommager les habits ni leurs chemises même, qu'on trouvoit tout entiers auprès des ossements des dévorés, qui augmentoit de plus en plus l'erreur des simples de dire que ce n'étoient point loups naturels, mais loups-garous ou soldats, ou sorciers transformés. »