Dans son ouvrage
« Les saints Bretons d'après la tradition en Cornouaille » initialement publié dans les Annales de Bretagne en 1893-1894, Anatole Le Braz fait part de son voyage à Brasparts, voyage dont il tira profit pour enregistrer nombre de légendes, de cantiques et de récits.
Le Braz était passionné par les Monts d'Arrée, subjugué par les paysages de landes, saisi par la beauté des sites naturels des monts. Il partit ainsi, dans le cadre d'une enquête officielle, et se laissa bercer par conteurs et chanteurs, sacristains et instituteurs.
A Brasparts, il fut reçu par le maire, Yves Lazennec, dont un portrait a été mis en ligne sur ce forum, par Corentin Cléran, instituteur et secrétaire de mairie (mais aussi gendre du maire), lesquels lui organisèrent des soirées contées et des visites spécialisées.
Au cours de ces veillées, Jean Marie Labous, cultivateur de Kersabéliet, fils de sabotier et excellent conteur, âgé (il était né en 1832) mais la mémoire encore vive, lui fit quelques récits, notés par l'écrivain... Voici l'un de ces récits que vous pouvez retrouver dans l'ouvrage cité ci-dessus.
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« A Brasparz, on entre en pleine montagne. Ce gros bourg, campé sur un dos de pays, est quelque chose comme la capitale de cette région de l'Arez. Les commis voyageurs que leurs affaires appellent dans ces parages le prennent pour centre de leurs opérations. Les touristes, en revanche, ne s'y hasardent pas volontiers. En quoi ils ont tort. Le panorama que l'on découvre de ce haut lieu est d'une majesté grandiose, vu surtout tel qu'il m'apparut d'abord, dans la lumière tranquille d'une belle soirée d'aoüt. Le maire, M. Lazennec, avait eu l'obligeance de réunir dans son hospitalière maison quelques-unes des bonnes langues de l'endroit. Des récits qui y furent faits, je détache le suivant, que le conteur, un brave homme du nom de Jean Marie Labous, intitulait: Histoire du Vieux Petit Saint (Histoar er Zantik-Coz).
« Il y a quelque cent ans, un de nos ducs rendit son épée aux Anglais, et nous devînmes tous Anglais en Bretagne. Nos papiers anciens furent transportés de l'autre côté de la mer. La garde en fut confiée à un homme savant qui imagina d'y fourrer le nez et de regarder ce qu'ils pouvaient contenir. Comme il feuilletait ce grimoire, ses yeux tombèrent sur un écrit qui disait:
« Il y a dans le Menez Arez, non loin de Brasparz, une pierre immense nommée Roc'h Trevezel. Dans cette pierre est enfermé un saint qu'on appelle ar Zantik-Coz et qui possède toutes les vertus. On n'a qu'à lui passer la main sur la tête et à la lui frotter doucement pour obtenir de lui ce que l'on désire.
Seulement la roche ne s'ouvre que tous les onze cents ans; et, pour que le Zantik-Coz consente à sortir, il faut l'envoyer chercher entre onze heures et midi, par un enfant qui ait juste onze ans ce jour là. »
L'écrit diait encore à quelle époque précise la roche s'était ouverte en dernier lieu. Le savant anglais se mit à supputer dans combien de temps elle devait s'ouvrir derechef; ses calculs lui firent connaître qu'elle devait s'ouvrir l'année d'après.
- Diable ! Pensa-t-il, je n'ai pas un instant à perdre.
Le voilà de boucler ses malles et de s'embarquer pour la Bretagne. Il prit terre à Brest, et se mit aussitôt en quête d'un enfant qui fût dans les conditions voulues. Il le trouva chez une vieille femme qui vendait de la chandelle de résine, dans une masure au bord du quai. Il donna à la mère une grosse somme d'argent et emmena l'enfant à Roc'h Trevezel dans la montagne, pour être prêt au jour fixé.
Ce jour arriva. Au coup de onze heures, la roche se fendit à sa base; le garçonnet, qui était souple comme une couleuvre, se glissa par cette ouverture et pénétra à l'intérieur de la pierre. Il se trouva dans une salle spatieuse où il y avait un tas de pommes magnifiques. Lui, d'en manger et d'en bourrer son ventre et ses poches. Mais, pas de saint.
- Allons plus loin, se dit le garçonnet.
Il pénétra dans une seconde salle où il y avait un tas de pommes encore plus belles. Il se mit à en croquer tant et si bien qu'il fut pris de coliques. Comme il s'allégeait, dans un coin, les douze coups de midi sonnèrent. Le pauvret n'eut pas le temps de relever ses grègues: il était prisonnier dans la pierre.
L'Anglais cependant s'impatientait au dehors. Quand il vit la roche se refermer, il conclut que l'affaire était manquée, et, comme l'enfant ne pouvait plus sortir avant onze cents années, vous pensez bien qu'il ne resta pas à l'attendre. Il fit ce que vous auriez fait à sa place: il reprit le chemin de l'Angleterre.
Potric ar golo roussin (le petit gars à la chandelle de résine) n'aurait pas demandé mieux, lui non plus, que de reprendre le chemin de sa masure. Il faisait dans sa prison des réflexions bien amères. Il songeait: « Quand toutes les pommes seront mangées, je n'aurai plus que mes excréments pour me nourrir ». Et cette perspective le rendait tout triste...
Les jours passèrent; le tas de pommes tirait à sa fin; il n'en restait plus que quelques unes dans un angle de la caverne. Au moment où le gamin se baissait pour les prendre, ses mains rencontrèrent un bloc de bois, un tronçon informe couvert de lichen ou, comme on dit ici, de barw an oc'h coz (crin de vieux porc).
- Dieu soit loué ! S'écria-t-il: ce doit être le saint.
Il se mit en devoir de le nettoyer; puis il lui frotta la tête doucement.
- Lamm-en-êr, petra fôt dit? (Saute-en-l'air, que te faut-il?) fit aussitôt une voix qui sortait du morceau de bois pourri.
- Je veux d'abord savoir si c'est toi le Zantik-Coz.
- Oui, c'est moi qu'on appelle ainsi.
L'enfant de lui frotter encore la tête.
- Saute-en-l'air, que te faut-il?
- Je veux pouvoir m'ensoleiller sur le haut de la roche, au lieu de rester moisir dans ses flancs.
Il n'eut pas plus tôt parlé qu'il se trouva dehors. Il s'accroupit sur la plate-forme du rocher, avec le vieux petit saint entre ses bras. Le temps était superbe. Le gamin put réchauffer au soleil béni ses membres tout imprégnés de l'humidité glaciale de la caverne.
- Ah ! Qu'il fait bon ici ! Et comme on voit au loin !
Il apercevait de là-haut un coin de la rade de Brest qui brillait, brillait. Il pensa aussitôt à sa mère et recommença à frotter la tête du saint.
- Que te faut-il?
- Je veux être transporté chez celle qui vend des chandelles de résine aux matelots, sur le quai de Brest.
Il fut aussitôt rendu chez sa mère qui lui fit, naturellement, toutes les joies du monde.
En revoyant son logis, il le trouva bien misérable. C'était une pauvre chaumine délabrée, avec du lierre à son pignon et un buisson de houx à la porte. Que si vous vous étonnez de ce qu'il y eût alors des maissons d'aussi chétive apparence en plein port de Brest, je vous répondrai que mon histoire se passe « dans les temps anciens, quand le diable n'était encore qu'un enfantelet » (« en amzer ansien, Pa oa an Diaoul pôtric bihan »)
- Je vais bâtir ici un palais, dit à sa mère Pôtr-ar-golo-roussin.
- Comment feras-tu?
- Vous allez voir.
Il frotta la tête du Zantik-Coz. De toutes parts accoururent des maçons et des piqueurs de pierres. En moins de rien, le palais fut debout. L'instant d'après, les chambres étaient tapissées et garnies de meubles. Le gars y vécut longtemps heureux auprès de sa mère que, par la vertu du saint, il avait rajeunie de trente ans. Mais, à la fin, l'ennui le prit. « Je veux voyager, commanda-t-il à Zantik-Coz. Fais-moi venir une calèche à douze chevaux, conduits par six postillons. »
Le soir même, il était en route. La voiture filait plus vite que le vent. Le lendemain, après avoir traversé Landerneau, Commana, le gars et son inséparable compagnon, le vieux petit saint, entraient à Paris comme le tonnerre. Dans les rues où ils passaient, les devantures volaient en éclats, tant ils allaient vite. Il y eut des dégâts énormes. Le roi de France s'en émut. Il signifia à Pôtr-ar-golo-roussin qu'il eût à comparaître devant lui. Mais notre homme avait une caboche de Breton.
- Si le roi a quelque chose à me dire, qu'il vienne me trouver.
Quand on rapporta cette réponse au roi, il se mit dans une grande fureur.
- Je n'irai pas trouver cet insolent, s'écria-t-il, mais j'y enverrai mon armée.
L'hôtel où le gars était descendu fut immédiatement cerné par plus de cent mille soldats. Mais cela n'était pas pour lui faire peur, puisqu'il avait avec lui le Zantik-Coz. Grâce à lui, il pouvait jouter au duel blanc comme au duel noir, c'est-à-dire à l'arme blanche comme à l'arme à feu. Et, de fait, au bout de quelques minutes, de l'immense armée du roi, il ne resta pas un homme sur pied. Quand le roi de France apprit ce massacre, il commença à se gratter l'oreille et à faire réflexion qu'il vallait mieux avoir Pôtr-ar-golo(roussin pour allié que pour adversaire. Il dépêcha son chambellan lui proposer sa fille en mariage. La fille était accorte et jolie. Pôtr-ar-golo-roussin l'épousa.
La nuit des noces, quand les époux s'allèrent couchés, la fille du roi ne fut pas peu surprise de voir son mari déposer avec précaution, à l'angle de la cheminée, un vieux morceau de bois à moitié pourri.
- Que faites-vous donc là, demanda-t-elle, et qu'est-ce que cette saleté dont vous voulez empoisonner notre belle chambre?
- Cette saleté est un saint de mon pays qui m'a suivi dans toutes mes pérégrinations, et je vous prie d'avoir pour lui le respect que j'ai moi-même.
La princesse oublia vite entre les bras de Pôtr-ar-golo-roussin le voisinage de Zantik-Coz. Mais, à quelques jours de là, comme elle était en train de se peigner, seule dans sa chambre, elle entendit sous ses fenêtres le cri d'un marchand qui proposait des saints touts neufs en échange des vieux. Cela lui remit en mémoire le Zantik-Coz. « Puisque mon mari, pensa-t-elle, attache tant d'importance à un magot difforme, que sera-ce quand je le lui aurai remplacé par une belle statue de plâtre? » La voilà de héler le marchand et d'échanger le vieux saint contre un autre tout neuf, en plâtre, avec une jolie figure et des habits dorés. Elle s'attendait à des remerciements de la part de Pôtre-ar-golo-roussin. Il faillit, au contraire, la battre, quand il rentra, en apprenant ce qu'elle avait fait.
- Malloz Doue ! S'écria-t-il.
Et, empoignant le saint de plâtre par le cou, il le lança sur le parquet où il se brisa en mille morceaux. Puis il courut de toutes ses jambes après le marchand. Il finit par le rejoindre.
- Combien demandes-tu de toute ta boutique?
- Trois cents francs.
Pôtr-ar-golo-roussin en donna six cents, trop heureux d'avoir retouvé le Zantik-Coz. Mais lorsqu'il voulut plus tard lui frotter la tête, le saint lui dit:
- Saute-en-l'air, je ne peux plus rien pour toi. D'ailleurs, il est temps que tu te tiennes tranquille.
- Habitues-toi désormais à ne plus rien désirer. Moi, je retourne à Roc'h Trévézel attendre encore onze cents ans qu'un autre me vienne chercher pour faire son bonheur. »
Et Jean Marie Labous conclut en terminant son histoire:
Ni vous, ni moi, monsieur, nous ne serons celui-là apparemment...
Une autre conteuse plus récente narrait également cette histoire aux veillées, mais pour elle, le saint était accessible tous les 111 ans, et la dernière fois que cela se réalisa, ce fut en novembre 1918...