Voici Noël. La traditionnelle crèche de Noël orne notre belle église. Elle n'a certes plus le « decorum » d'autrefois, avec de multiples personnages en costumes du pays, mais elle reste une tradition particulièrement vive dans notre région, depuis que les mystères (ces pièces scéniques particulièrement appréciées des Bretons) ont perdu de leur vitalité.
Nous avons la chance de conserver un précieux témoignage d'un Noël à Brasparts que vécut le baron de la Pylaie, dont les textes ont parfois permis le souvenir écrit de certaines de nos légendes (la noce de pierres, Toul an Diaoul, ...). Je n'ai pu résister au plaisir de vous faire découvrir ou redécouvrir ce texte...
En 1843, le baron Jean-Marie Bachelot de la Pylaie part avec une simple recommandation du ministre de l'intérieur pour dresser un tableau des monuments « antiques » du Finistère. Botaniste, explorateur, archéologue, dessinateur, le baron est né à Fougères le 25 mai 1786. Il décèdera à Marseille le 12 octobre 1856.
Sa vie fut celle d'un grand voyageur, en France, en Afrique, en Amérique. Entre 1816 et 1819, il demeure à Saint Pierre et Miquelon qu'il décrit avec passion. Les collections qu'il en ramena font aujourd'hui partie des herbiers du Muséum d'Histoire Naturelle de Paris. Ses dessins se trouvent aux archives de l'Institut Botanique de Montréal. Ses ouvrages continuent à faire autorité.
En 1825 et 1826, il s'installe dans les îles du Golfe du Morbihan et entreprend de décrire la vie et les activités des habitants. En 1836, il réside à l'île d'Yeu et y gagnera le surnom de « Père Goémon »...
En 1831, le baron soutient les légitimistes de la Duchesse de Berry. Un temps écarté, - il fut même condamné à la déportation, mais la peine ne semble pas avoir été appliquée- , le baron voyage à travers la France, dissipant ses biens pour vivre sa passion. Partout, il laissera des traces écrites de ses séjours, y ajoutant nombre de dessins et croquis.
En 1843, le voilà donc en Bretagne. Pendant trois années il parcourra le département, notant, dessinant, visitant et découvrant à la manière d'un explorateur anthropologue. Le document qui suit est extrait de son ouvrage « Études archéologiques et géographiques, mêlées d'observations et de notices diverses », publié en 1848 et réédité par la Société Archéologique du Finistère en 1970.
« Depuis longtemps, je désirais voir Braspars, cette antique paroisse fondée au VIème siècle, au temps de Clovis, par saint Javoua, disciple de Saint Pol de Léon. J'ai, en conséquence, traversé sans m'y arrêter le joli bourg de Pleyben, chef-lieu de canton, sans pouvoir fixer mon opinion au sujet de la beauté des femmes, qu'on met au premier rang, avec celles de Fouesnant, au sud de Quimper. Son église, assez remarquable, exige une prompte reprise en sous-œuvre de sa tour principale. Trop récemment bâtie, elle n'a pas droit à figurer parmi nos monuments nationaux antiques....
Voulant voir une
messe de minuit à Braspars, je partis de nuit de Pleyben pour ne pas manquer cette cérémonie: il était six heures du soir, et je fus réduit à faire les trois lieues de trajet d'un bourg à l'autre sur le nouvel empierrement de la chaussée, parce qu'il gelait à trois ou quatre degrés, et que mon cheval avait failli de s'abattre plusieurs fois en glissant sur le sol glacé du reste de la route. Je traversai ainsi sans m'en douter, le hend Ahès, chemin d'Ahès, qui se rend de Ker-Ahès, en français Carhaix, au Bec-du-Raz, vis-à-vis de l'île de Sein. Quoique favorisé pendant tout ce trajet par un magnifique clair de lune, je ne pus arriver qu'à neuf heures environ à Braspars, à cause des précautions qu'il m'avait fallu prendre continuellement.
Je fus loger chez l'adjoint, qui fait aujourd'hui les fonctions de maire par suite du décès tout récent de celui-ci. C'est chez M. Messager, homme de capacité et le plus capable de bien diriger la commune; il tient la principale auberge du bourg. Après un souper qui me fit oublier l'horreur de la nature pour le vide de mon estomac, lequel durait depuis onze heures du matin, j'allai me mêler parmi le groupe de paysans réunis sous la halle, pour examiner leurs costumes et tout ce que peut offrir d'intéressant une nombreuse réunion pour un étranger.
Je vis là
un usage local: tout ce monde, composé en grande partie de jeunes gens, d'enfants et de jeunes filles, se trouvait réuni autour de trois marchandes de gâteaux. Deux d'entre eux se présentaient à la fois, prenaient un gâteau dans le panier, puis le rompaient en le tenant chacun par un côté; et comme il renfermait une fève, celui auquel elle était tombée payait un sou, prix dudit gâteau. Ce passe-temps joyeux dura jusqu'à onze heures, moment où commencèrent les offices qui précèdent la messe de minuit. Toute la population y afflua; en attendant, je causai une partie du temps avec le brigadier de la gendarmerie, par lequel j'appris que le pays est en arrière de deux siècles par rapport au reste de la France.
La messe commença à minuit un quart, et fut suivie de la consécration des hosties pour les messes du lendemain, etc., ce qui rendit l'office d'une longueur mortelle pour moi peut-être tout seul, car, sous le rapport religieux, on en est encore ici au XIVème et Xvème siècles. Là je vis la résurrection de l'antique Michel Morin de nos chroniques, dans la personne de l'enfant de chœur, bedeau, servant et répondant la messe, chantre et moucheur des chandelles exigües qui jetaient une lueur crépusculaire sur le lutrin. Notre omnis homo, ce cumulard bénévole, faisait face à tout avec la pratique du plus habile pilote lamaneur.
Pour arriver à une connaissance complète des usages religieux, j'assistai à la grand'messe du lendemain, et ayant reçu à midi mes bagages, je parus à vêpres en habit brodé. Cette tenue et ma recommandation ministérielle m'accréditèrent au complet dans le pays.
Il est d'usage dans tout ce centre du Finistère, aux fêtes de Noël, de composer une
Nativité pour orner les églises: c'est une représentation de la naissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui consiste en une espèce de chapelle portative en forme de petit théâtre ou de grotte, tapissée avec des branches de sapin, de buis ou de laurier-thym, entremêlées de fleurs artificielles. Au milieu de cette grotte est l'enfant Jésus, placé sur un petit faisceau de paille, et près de lui, sa mère, saint Joseph; le bœuf et l'âne, accessoires obligés, et de nombreux personnages qui viennent adorer le Messie. Ce n'est donc ici que la mise en relief de tous les tableaux qui représentent la naissance du Christ; mais cette adoration mérite cependant l'attention d'un étranger, par l'addition aux personnages des pays orientaux, de quantité de nos paysans, hommes, femmes et enfants, qui sont habillés avec le costume en usage dans la paroisse, aux jours des plus grandes solennités. Outre la Nativité de Braspars, j'avais vu celles des églises de Pleyben, de Guésec, et dans toutes, la composition de la grotte, la disposition des groupes, de ses petites figurines et l'ajustement de leurs costumes, nous annoncent du goût et une intelligence bien capables de faire regretter au bon Lafontaine de n'avoir connu les Bretons et la Bretagne que par d'injustes traditions. Cette grotte n'a ordinairement qu'un mètre ou un peu plus de hauteur, sur un mètre et demi de longueur; on la place dans la nef des églises, le plus souvent près du choeur; elle est élevée sur des tréteaux.
Je vis dans cette partie de la Bretagne une
pratique relative au pain bénit, que je ne dois point passer sous silence. Il est coupé par morceaux de deux grosseurs différentes: les petits n'ont environ que celle d'une noisette ordinaire, et les gros, d'une noix de noyer; ces derniers ne sont que pour un tiers au plus relativement à la totalité que peut contenir le panier. Chacun peut prendre gratuitement un des petits morceaux; mais lorsqu'on en choisit un gros, il est d'usage de remettre à celui qui fait la distribution une pièce de dix centimes, ce qui produit encore une somme assez considérable au profit de la fabrique.
Comme il n'y a presque jamais de bancs dans les églises de campagne du Finistère, les hommes sont réduits à rester debout ou bien à genoux pendant tout l'office. Ils se réunissent près du chœur, laissant aux femmes le bas de l'église et un de ses côtés. Celles-ci se tiennent à genoux, n'ayant d'autre moyen pour se reposer, qu'en reportant le corps en arrière afin de s'asseoir sur le talon de leurs sabots. Je les ai vues très fréquemment encore, lorsqu'il n'y avait pas foule, assises tout à fait à plat sur le pavé de l'église. Mais chaque fois qu'on se met à genoux ou qu'on se lève, selon les parties de l'office divin, les sabots font un bruit tumultueux qui trouble et déroge à la majesté de la cérémonie.
En sortant des offices, un grand nombre de femmes vont s'agenouiller dans le cimetière, sur la tombe de leurs parents, et leur figure porte toujours l'expression de la piété la plus touchante pendant la prière qu'elles adressent au ciel en leur faveur. Les hommes remplissent aussi ce devoir de la tendresse filiale, mais moins communément. Chacun fait, en s'en allant, le signe de la croix, et n'omet jamais de prendre de l'eau bénite dans la fossette que l'on a coutume de faire au bas de la pierre tombale qui couvre le défunt, lorsque celui-ci a joui d'une certaine aisance. Cette fossette, qui est ronde, ovale, souvent en forme de cœur, n'est que la reproduction de l'aquiminarium des païens, destiné à conserver de l'eau lustrale sur leurs tombeaux..."