2 décembre 1852 : La frégate "La Forte" quitte Brest avec, à son bord, en qualité de dessinateur,
Jean René Maurice de Kerret âgé de dix-neuf ans. Elle arbore le pavillon de l'amiral Febvrier des Pointes qui va prendre le commandement de la Station du Pacifique. Rio de Janeiro... le Brésil, premiers contacts avec l'Amérique du Sud. Le Cap Horn, Valparaiso, Callao et Lima : autant de lieux mythiques, autant d'escales attendues avec impatience.
Le vicomte Jean-René-Maurice de Kerret fait partie d'une des plus vieilles familles de Bretagne, dont la noblesse fut confirmée lors de la réformation de 1669. Né à Quimper le 4 septembre 1833, il est fils de Charles-Fidèle vicomte de KERRET de Quillien et de Marie-Marguerite-Félicie Le Fève de la Faluère. Cette même année 1833, Charles de Kerret rachète le domaine de Lanniron auquel restera attaché René de Kerret. (deux ans plus tard, leur fille Hermine épousera Georges Blanchet de la Sablière dont les descendants sont les actuels propriétaires.)
Tugdual de Kerros, qui a publié en 2004 le « Journal de mes voyages autour du monde » de René de Kerret, écrit: « Nous ne savons rien de lui avant qu'il n'embarque sur La Forte à son départ de Brest... Il a dix-neuf ans et figure au nombre des membres de l'état-major de la frégate en tant que dessinateur. Il n'est pas marin et doit son embarquement, probablement, à quelque recommandation. Il n'était pas exceptionnel que soit embarqué ainsi un jeune homme dont la famille jugeait qu'il avait besoin de goûter l'air du large. »
1.
Les voyages autour du monde. (1852-1855)
Ces voyages autour du monde vont former le caractère du jeune homme, et on décèle déjà à travers ses carnets l'homme de bien de demain:
- Incontestablement fortuné, il n'est déjà prodigue de rien, et surtout pas avare: il n'hésitera en aucune façon à financer les dépenses nécessaires à la réussite de son voyage, de même que plus tard, il apportera un appoint nécessaire à toute chose noble, utile ou généreuse. Une seule fois, il montrera quelque réticence pour le financement d'un repas « en société », pour une soixantaine de convives, avouant qu'il craignait « d'endosser une pareille responsabilité et voulais achever de payer les dettes dues en France avec les économies que j'avais si bien commencé à faire. »Ce qui ne l'empêchera pas de réaliser « un dîner royal »...
- Dessinateur de talent, il fait preuve d'un esprit curieux pour le monde qui l'entoure: la nature, les hommes, les paysages, les villes, les mœurs, tout l'intéresse...Profondément croyant, il admire l'œuvre du Créateur, reconnaît la main de la Providence devant ces « panoramas incomparables que la photographie seule pouvait rendre. » Son journal en devient un document ethnographique très intéressant. Les relations qu'il a su créer avec son chef, le contre-amiral Febvrier des Pointes, mais aussi avec les membres de l'état-major, vont lui ouvrir des occasions de découvertes qu'il ne manquera pas: ainsi est-il désigné pour porter, avec son ami le lieutenant de Kersaint, le traité de Paix de la France au président équatorien...
- Sociable et chaleureux, il s'intègre sans peine à cette vie si difficile de marin, acceptant sans rechigner les contraintes et les coutumes de l'équipage: il connaîtra les baptêmes traditionnels -passage de la ligne, passage du Cap Horn-, se déguisera en femme le mardi gras pour participer au bal de l'équipage; René de Kerret sera accueilli partout avec distinction, tant de la part de la bonne société que de celle des chercheurs d'or, des tribus du Pacifique ...Ce tempérament sociable restera une marque du vicomte, et ses fermiers se souviendront toujours de lui, lui portant une affection et un dévouement sincères.
- Chasseur émérite et passionné, il révèle un cœur sensible, rejetant ainsi la seule corrida à laquelle il assistera jamais, la qualifiant de « boucherie inutile. » A ce goût pour la chasse, il joint un courage certain, face aux voleurs équatoriens ou à l'ennemi russe lors de la bataille de Petropalovski (1854)
- Jeune et quelque peu naïf, il est bien évidemment attiré par les jeunes et jolies femmes – il est vrai que son cœur reste à prendre, et manque de peu d'être pris en Équateur et à Tahiti...Mais ce sont bien là des aventures dignes de jeunes officiers qui disposent de surcroit d'une grande liberté de déplacement et d'action: fréquentation des milieux huppés de la bourgeoisie péruvienne ou équatorienne, de la cour de la Reine Pomaré, représentation de l'amiral - qui lui apporte toute sa protection - dans les îles du Pacifique... Le ton des carnets est souvent plein de candeur mais toujours charmant...
Malheureusement l'amiral Febvrier des Pointes meurt en cours de mission, et son successeur arrive. René de Kerret rentre alors en France, à ses frais...Nous sommes le 7 mai 1855.
2.
Retour en Bretagne.
« A partir de ce moment, il se fixa au château de Quillien, en Brasparts, et ne tarda pas à se marier. », dira P. du Chatelier prononçant l'éloge funèbre du vicomte.
Ce château est construit non loin de l'ancien manoir de Quillien sur les plans de Joseph Bigot, architecte départemental, dans le style Louis XIII. Les armoiries des Kerret figurent au-dessus de la porte d'entrée, avec la devise « Tevel hag ober », « Se taire et agir »: tout un programme que René de Kerret ne cessera d'appliquer.
René de Kerret épouse épouse à Lyon le 6 janvier 1865 Marie-Léonie Gautier, née à Paris le 19 décembre 1838, dont il aura trois filles (mais l'une d'entre elles ne vivra que quelques jours). La famille partagera sa vie entre Quillien, Paris, Lyon et Nice où résident les beaux-parents de René de Kerret.
3.
Bienfaiteur de Brasparts.
C'est le 1er avril 1873 qu'est fondé à Brasparts le couvent de la communauté des filles du Saint-Esprit, avec l'aide financière du vicomte de Kerret, qui offre le terrain et les bâtiments. Les religieuses vont notamment prodiguer leur soins et leur aide à tous ceux qui en ont besoin. Elles vont aussi s'occuper de l'école congrégationniste et mettent à disposition de la commune une dépendance au profit de l'école laïque des filles! L'institutrice y trouvera aussi un logement, dont le loyer sera payé par la commune...
En 1889, alors qu'il avait échoué dans sa volonté de doter Brasparts d'un service des eaux, échec lié à des oppositions politiques très fortes, dont celle du maire de l'époque, Yves Lazennec, René de Kerret fit élever à ses frais une pompe devant les halles nouvellement construites. Le traité de gré à gré précise: « M. le vicomte de Kerret s'oblige à exécuter à ses frais les travaux nécessaires pour le creusement d'un puits et l'installation d'une pompe sur la place aux halles du bourg de Brasparts, et en faire l'abandon, à titre gratuit, en faveur de ladite commune; il exprime le désir que la statue de la Sainte Vierge soit placée, par ses soins, sur la pompe et ne soit enlevée sous aucun prétexte. »
Le vicomte René de Kerret s'entend très bien avec les recteurs de Brasparts et il les aidera dans leurs diverses entreprises: c'est ainsi qu'il finance les deux vitraux du transept dont nous avons parlé dans un autre article de ce forum, qu'il participe au financement du chemin de croix ou qu'il offre le reliquaire de saint Jaoua...
C'est vers 1895 que le vicomte de Kerret projette la création d'une école privée à Brasparts; il n'en verra pas le jour et c'est son gendre, le comte de Bourbon, qui poursuivra et accomplira cette œuvre. En revanche, il participera activement à la fondation de l'école libre des garçons de Pleyben qui sera solennellement bénite le dimanche 23 octobre 1897.
Le dimanche 6 mars 1898, jour de la translation des reliques de saint Jaoua en la commune de Brasparts, restera un grand moment de la vie de René de Kerret: l'abbé Abgrall, son ami et compagnon de la Société Archéologique, a dirigé les fouilles et retrouvé le corps du Saint, puis obtenu de l'évêque la translation de reliques à Brasparts. Le reliquaire, toujours transporté lors du Grand Pardon de Notre-Dame de Brasparts, est un don du vicomte et porte ses armoiries.
4.
La société archéologique du Finistère.
En 1873 lorsque s'ouvre à nouveau les sessions de la Société Archéologique du Finistère laquelle, créée en 1845 sous le nom d'Association Bretonne, avait arrêté ses travaux en 1859, le vicomte René de Kerret fait partie de ses membres, avec son frère Karl. La participation de René de Kerret est épisodique mais il suit avec passion les travaux de la Société. Parmi les autres membres, on note le nom de l'architecte Bigot, du Chatelier, correspondant de l'Institut de France, l'abbé Abgrall, professeur au collège de Pont-Croix, Aymar de Blois, Pol de Courcy, Théodore Hersart de la Villemarqué...
D'emblée, René de Kerret se déclare « à Brasparts ». Toute sa vie sera orientée vers notre commune dont il va devenir le principal bienfaiteur...En 1877, il précise, « R. de Kerret, au château de Quillien, commune de Brasparts ».
« Devenu veuf (son épouse décède le 19 décembre 1878), il consacra toute son activité à l'éducation de ses enfants et à faire le bien, construisant et entretenant des écoles et réparant des églises, s'intéressant à la conservation de nos monuments mégalithiques, ces témoins d'un passé bien lointain. » dira P. du Chatelier, président de la Société Archéologique du Finistère.
A la séance du 28 décembre 1878, le secrétaire fait lecture d'une lettre par laquelle « notre collègue M. René de Kerret, offre à la Société de lui faire l'abandon gratuit de la propriété d'une allée couverte située tout près du bourg de Brennilis... M. le président (Hersart de la Villemarqué) remercie M. de Kerret au nom de l'assemblée qui est d'avis d'accepter la donation qu'il veut bien faire à la société archéologique. Ce don est une nouvelle preuve de l'intérêt qu'a toujours porté notre collègue à la conservation des monuments anciens de notre pays, que tant d'autres s'efforcent de détruire ou de s 'approprier dans un but mercantile ». Ce don, renouvelé en 1888, ne sera finalisé qu'en 1891, par une vente symbolique à la Société, contribuera à sauver le monument que l'on peut encore admirer aujourd'hui.
En novembre 1886, il dirige la fouille d'un grand tumulus à Goarem Huella en Loqueffret, lequel tumulus contenait un grand caveau qui livra aux chercheurs les ultimes débris de ce qui « pourrait être un crâne » et un vase à quatre anses « ressemblant à un pot à lait utilisé dans le pays ». Un compte-rendu très complet de cette fouille a été établi par Charles De Jacquelot Du Boisrouvray et reproduit dans le Bulletin de la Société Archéologique (1887). Le vicomte dirige de même la fouille de l'allée couverte de Brennilis. (1887).
En 1888, il fait don à la Société Archéologique, en souvenir de son frère Charles, de 4 médailles d'or découvertes « dans le pays » qui représentent Edouard III (1312-1377), Edouard III 2ème type, Jean Le Bon (1340), Charles VIII (1482-1495) Carolus; il propose également de céder à la Société un « beau dolmen dont il est le propriétaire sur la commune de Loqueffret. »: c'est cette belle allée, appelée « Ty ar Boudiket » que l'on voit sur la photo ci-dessus qui demandera quelques temps avant la réalisation du projet.
5.
La mort de René de Kerret.
Le 17 juin 1898, le vicomte René de Kerret s'éteint au château de Lanniron, à l'âge de 64 ans, à la suite d'une courte maladie. « La Semaine Religieuse », reprenant les propos du journal « La Croix » mais aussi du « Gaulois » écrit : « Cet homme de grand cœur, attaché à Dieu, bienfaiteur de l'humble et du déshérité, laisse d'unanimes regrets, au milieu des populations de Pleyben et de Brasparts, venues en très grand nombre rendre les derniers devoirs à celui qui fut l'exemple des vertus chrétiennes dans sa contrée. »
Le vicomte René de Kerret repose dans la chapelle familiale du cimetière de Brasparts, là où le chevalier de Fréminville, dans ses Antiquités du Finistère signalait le tombeau d'un ancien chevalier de la famille de Kerret, représenté avec son armure du XVe siècle, les pieds appuyés sur un lion.
Sa fille Isabelle épousa le baron Pierre Séguier le 22 juillet 1886 en l'église Saint-Philippe-de-Roule.
Son autre fille, Jeanne, épousa le comte de Bourbon-Lignières le 2 juillet 1888 également en l'église Saint-Philippe-de-Roule.
Deux de ses petits-enfants, Philippe et Henri, sont morts pour la France pendant la Grande Guerre. Ce sont les deux jeunes garçons que l'on voit en chapeau sur la photo...
Sources:
Mme Florence de Massol
Mme Félicia Le Guillou
Tugdual de Kerros, “Journal de mes voyages autour du monde”, texte et illustrations originales de Jean-René-Maurice de Kerret, Cloitre Editions, 2004
Bulletins de la Société archéologique du Finistère
Semaine diocésaine de Quimper et Léon