Le 12 juin 1870, François-Marie Luzel est accueilli à Brasparts « comme il se doit ». C'est une nouvelle occasion pour la municipalité de montrer à son nouveau visiteur qu'elle sait recevoir. C'est là l'opportunité d'organiser une veillée au cours de laquelle les conteurs braspartiates pourront se livrer à leur plaisir...
Guillaume Le Goff, originaire du Cloître Pleyben où il est né le 4 août 1812, a épousé à Brasparts en 1842 Marie Anne Jaffré. Après un temps de cultivateur au Cloître, il s'est installé avec sa famille comme aubergiste au bourg de Brasparts où il s'est taillé une solide réputation de conteur.
Le conte qui va suivre n'a jamais été publié du vivant de Luzel, mais fait partie des « Contes inédits », textes établis et présentés par Françoise Morvan, publiés aux éditions Terre de Brume en 1985.
Le grain de myrrhe
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Na eus mar penaos guez-all,
Ann hini hon doa daou lagad n'oa ket dall;
An hini n'hen eus met eul lagad,
A zo born me hen goar e-vad,
Hag a rink ober diou wech an hent,
'Vit gweled an daou du, hep fent.
Il y avait autrefois une pauvre femme et son fils.
La bonne femme s'appelait Olu Kergoff, et le fils, Laouic. Laouic avait déjà dix ans accomplis et jamais il n'avait apporté à la maison la valeur d'une bouchée de pain seulement. Il restait toujours au lit, par paresse et non pour cause de maladie, pendant que sa mère allait mendier, de porte en porte, un peu de pain d'orge, quelques pommes de terre ou une crêpe de sarrasin. Mais on ne lui donnait plus guère, depuis quelque temps, et partout elle était accueillie par ces paroles:
« Votre fils n'est donc bon à rien, Olu? Il a pourtant dix ans, ou environ, et il pourrait vous aider. Il faut le faire travailler et ne pas vous donner tant de peine pour le nourrir à rien faire. Envoyez-le nous: il gardera les moutons, sur la lande, et gagnera au moins son pain. »
Et tous les jours, la bonne femme revenait à sa pauvre habitation avec son bissac moins lourd.
Et elle disait à son fils:
« Hélas ! Mon pauvre enfant, on ne me donne plus, et pourtant on me dit que tu es à présent d'âge à gagner ton pain. Ton parrain, Fañch Kerlouarn, de Kerbrini, veut bien te prendre, pour garder ses moutons sur la grand'lande; il faut y aller, mon fils ; ce n'est pas là un travail pénible ni difficile ».
Laouic, pressé par la faim, se leva, pour aller à la ferme de son parrain, dans le voisinage. C'était au mois de mai, et le temps était clair et le soleil brillait.
Comme il ne sortait presque jamais de sa maison, qui n'était éclairée par aucune fenêtre, et n'avait d'autre ouverture qu'une porte étroite et basse, il fut ébloui de tant de lumière, comme un hibou chassé de quelque sombre ruine, en plein jour. Il entra en courant et tête baissée chez son parrain et mit les pieds dans un bassin rempli de bouillie d'avoine, que la servante venait de retirer du feu et de poser sur l'aire de la maison, pour refroidir un peu. C'était le dîner des laboureurs, qui travaillaient aux champs. Quand ceux-ci rentrèrent un moment après, avec bon appétit, et qu'ils virent leur repas en si piteux état, ils en demandèrent raison à la cuisinière.
« C'est cet imbécile, dit-elle, en montrant Laouic tout penaud, derrière la porte, qui est entré dans la maison comme un venu affolé, qu'il est, et a planté ses deux pieds au milieu du bassin.
« Est-ce que ce ne serait pas mon filleul, le fils d'Olu Kergoff ? Dit Fañch Kerbouarn, en l'examinant.
Et l'ayant tiré par le pan de sa veste, en pleine lumière:
« C'est bien lui ! Ta mère s'est donc enfin décidée à te faire sortir de ton trou, drôle ? Ou plutôt, c'est la faim qui t'en aura chassé, comme elle chasse le loup du bois. Allons, prends une cuiller de bois et une écuellée de lait et mange avec nous, puis, je verrai ce qu'on pourra faire de toi.
Et l'on se rangea autour du bassin, chacun tenant son écuelle pleine de lait aigre, d'une main, sa cuiller de bois, de l'autre, et puisant à volonté au bassin commun, sans le moindre dégoût, tout comme si les sabots poudreux de Laouic n'y avaient pas laissé une large trace. Laouic mangeait, mangeait et n'en finissait pas. Tout à coup, il se mit à pleurer, en se grattant la tête.
« Qu'as-tu donc à pleurer ? Lui demanda son parrain.
« Je ne puis plus manger, et il en reste encore ! Répondit-il.
Et tout le monde de rire.
Il resta comme petit pâtre à la ferme. On était indulgent pour lui et on l'aimait comme un pauvre innocent du bon Dieu et un simple d'esprit.
Un jour d'été, pendant le dîner, du lait avait été répandu sur la table de la cuisine et des mouches s'y étaient assemblées, en grand nombre. Laouic sourit en les voyant, et s'approchant avec précaution, en tua beaucoup, d'un coup de revers de main. Il les compta : il y en avait mille et cent. Tout fier d'un tel exploit, il pria son parrain de lui écrire sur son chapeau que, d'un seul coup de revers de main, il tuait mille et cent. Son parrain prit un morceau de papier et écrivit dessus:
« Laouic ar palafer
Bepred o klask affer,
A discar kant ha mill,
Gant eun tol-dorn a gill. »
Puis, avec une épingle, il fixa l'écriteau au chapeau du jeune pâtre. Celui-ci ne se tenait pas de joie. Il courut chez sa mère, lui raconter son aventure et motrer l'inscription.
« Ah ! C'est moi qui suis un gaillard, à présent, mère; voyez mon chapeau ! S'écria-t-il en rentrant.
La pauvre femme était au lit, malade, et se mourant de misère et de privations. Reconnaissant la voix de son fils, elle se leva péniblement sur son séant et dit :
« Je suis malade, mon enfant, et mon heure approche : Dieu pense, sans doute, que j'ai assez soffert comme cela, dans ce monde.
« Je vais vous quérir, mère, le meilleur médecin de la ville, et s'il ne vous guérit pas, malheur à lui.
Et Laouic courut à la ville la plus voisne, ayant toujours l'inscription à son chapeau et portant haut la tête.
Le médecin lui demanda:
« N(y a-t-il pas chez vous des poules et un coq ?
« Oui, répondit-il, ma mère a trois poules, deux blanches, l'autre noire, et un beau coq rouge.
« Eh bien, il faudra tuer ce coq, le faire cuire dans la marmite, puis votre mère en ma,gera la chair : mais vous garderez la tête.
« Ma mère regrettera son beau coq rouge, et moi aussi, je le regretterai – se disait Laouic, en revenant à la maison – mais il sera tué quand même.
« Eh bien, que t'a dit le médecin, mon fils ? Demanda la vieille à Laouic.
« Il a dit, mère, que vous guérirez, si l'on tue votre coq rouge et que vous le mangiez, à l'exception de la tête, que je garderai sur moi.
« Je ne veux pas que l'on tue mon coq rouge ; il me tient société et nous causons ensemble et nous nous entendons comme de vieux amis. Il est né le même jour que toi, et je crains qu'en le faisant mourir cela ne te porte malheur et à moi aussi.
« Arrive que pourra, mère, le coq ira cuire dans la marmite, puisqu'il le faut pour vous rendre la santé.
Et là-dessus Laouic prit le coq rouge, le pluma et le fit cuire dans la marmite, après lui avoir coupé la tête qu'il mit dans sa poche. La vieille prit d'abord une soupe trempée avec le bouillon de coq, puis elle en mangea la chair, et se trouva guérie aussitôt.
Alors Laouic dit à sa mère :
« Je vais voyager à présent, mère, et je reviendrai bientôt, riche et puissant. Vous verrez, ayez confiance, et patientez un peu seulement.
Et il partit là-dessus.
Il avait emporté la tête du coq rouge, dans sa poche. Mais bientôt il se dit :
« A quoi bon m'embarasser de cette tête de coq, qui ne peut m'être d'aucune utilité ?
Et il la jeta dans la douve, au bord de la route, et continua de marcher. Mais il n'alla pas loin qu'il pensa :
« J'aurai du, avant de jeter la tête de coq rouge, l'ouvrir avec mon couteau ; il y a peut-être quelque chose de précieux dedans, puisque le médecin m'a dit de la garder.
Et il revint sur ses pas, trouva la tête de coq où il l'avait jetée et l'ouvrit avec son couteau. Il y avait dedans un grain de myrrhe, plus précieux que l'or, une merveille. Il court à Quimper et le présente à un orfèvre. Celui-ci l'examine attentivement et lui dit :
« Qu'en demandez-vous ?
« Deux cents écus, répondit Laouic.
« C'est beaucoup trop; en voulez-vous cinquante écus?
« Non, rendez-le moi.
Et il reprend son grain de myrrhe et pousse plus loin, dans la direction de Paris.
En arrivant à Lorient, il va encore chez un orfèvre et lui présente son grain de myrrhe.
« Combien en voulez-vous ? Lui demande l'orfèvre.
« Mille écus.
« C'est trop ; en voulez-vous huit cents écus ?
« Mon grain de myrrhe est décidément une chose de grande valeur, pensa Laouic.
Et il répondit:
« Non ; rendez-le moi.
« Eh bien, je vous en donne mille écus, et il est à moi.
« Non, c'est à moi qu'il est, et je vous prie de me le rendre.
Et il reprend son joyau et pousse plus loin. A Rennes, il se rend encore chez un orfèvre qui lui demande:
“ Que voulez-vous de cet objet ?
“ Quatre mille écus.
“ C'est trop ; en voulez-vous trois mille ?
“ Non, rendez-le moi.
“Il est à moi ; je vous en donne quatre mille écus.
“ Non, c'est à moi qu'il est.
Et il le reprit et s'en alla.
Enfin, pour abréger, dans toutes les villes où il passa, il offrit son grain de myrrhe, augmentant toujours le prix qu'il en demandait, tant et si bien qu'en arraivant à Paris, il voulait vingt mille écus.
Comme il entrait dans la capitale, il rencontra un vieillard à la barbe blanche qui l'accosta et lui dit :
“ Bonjour, Laouic, tu es sans doute venu à Paris pour vendre ton talisman, ton grain de myrrhe ?
“C'est vrai, répondit Laouic, étonné.
“ Eh bien, ne le vends jamais, quelque prix qu'on t'en offre, car, pendant que tu le possèderas, tu ne manqueras de rien : il te suffira de dire, en le tenant dans ta main : Petit grain de myrrhe, fais ton devoir ! pour que tes souhaits soient aussitôt accomplis, quels qu'ils pussent être ; seulement, sois discret et ne confie ton secret à personne.
Et le vieillard s'en alla là-dessus, sans dire son nom.
“ Et si pourtant c'était vrai !... se dit alors Laouic ; je vais bien le savoir, sans plus tarder.
Et, prenant le grain de myrrhe dans sa main droite, il dit :
“ Par la veru de mon petit grain de myrrhe, que la poche droite de mon gilet se remplisse de pièces d'or, celle de gauche, de pièces d'argent, et la poche de mon pantalon, de menue monnaie.
Et sur-le-champ, ses trois poches se trouvèrent remplies comme il l'avait souhaité.
“Holà ! s'écria-t-il alors, au comble de la joie, tout va bien, et nous allons en voir de belles, à présent.
Il courut d'abord après le vieillard et lui dit:
“ Prenez, parrain, votre part de l'or et de l'argent dont mes poches sont remplies ; voyez !
Et il lui faisait voir des poignées de belles pièces d'or et d'argent, toutes neuves et brillanets au soleil.
“ Non, lui répondit le vieillard, je n'ai besoin, moi, ni d'or ni d'argent ; mais, je vous le répète, soyez discret et prenez bien garde de vous laisser dérober votre talisman.
Et il s'en alla, sans rien dire de plus.
Laouic, avec ses habits de paysan breton et ses gros sabots, marche alors sur le pavé de Paris, la tête haute et l'air fier, et il va demander à manger et à loger dans un des plus grands hôtels de la ville. Des valets insolents et grossiers, le voyant sous cet accoutrement, le plaisantent et lui répondent :
“ Tu te trompes d'adresse, mon gars ; ici, on ne reçoit pas des gens de ta sorte. Va-t-en, déguerpis, vite !
Mais une servante bretonne qui se trouvait aussi là, le reconnut à son costume pour un compatriote et lui dit, dans la langue du pays :
“ Ne vous en allez pas ; je vais dire un mot en votre faveur à la gouvernante.
Et elle disparut et revint sans tarder avec de bonnes paroles :
“ Soyez sans inquiétude, mon garçon, vous serez logé et je vais vous conduire à votre chambre.
Laouic mit la main à sa poche et en retira une poignée de pièces d'or qu'il donna à la Bretonne. Celle-ci courut faire part à son maître d'une telle aubaine, et alors on combla Laouic de soins et de prévenances ; on lui donna la plus belle chambre de l'hôtel et l'hôtelier l'invita à dîner avec lui et avec sa femme. Ils remarquèrent facilement qu'il était simple d'esprit et conçurent l'idée d'en tirer profit. L'hôtelier faisait bâtir un bel hôtel neuf, et le lendemain matin, après déjeûner, il ala visiter le bâtiment avec Laouic et lui en faire les honneurs. C'était très beau et le jeune Breton s'extasiait et s'émerveillait de tout ce qu'on lui faisait voir.
“Un vrai palais de roi ! Disait-il.
“ Hélas ! ... répondit l'autre, et songer que dans trois mois rien de tout cela ne m'appartiendra !
“ Pourquoi donc ?
“ J'ai des dettes et mes créanciers ne veulent plus attendre !
“ Et vous devez beaucoup ?
“ Oui, malheureusement, plus que je ne puis payer.
“ Que feriez-vous pour celui qui vous délivrerait de vos créanciers ?
“ Oh !... tout ce qui est en mon pouvoir ; je lui serai reconnaissant et dévoué jusqu'à la mort.
Ce soir-là, Laouic dîna encore avec l'hôtelier et sa femme, qui eurent pour lui toutes les attentions et les flatteries possibles. Il alla se coucher, un peu gris, et décidé à faire quelque chose pour ces gens qui le traitaient si bien. Avant de se mettre au lit, il prit à la main son talisman et dit :
“ Par la vertu de mon grain de myrrhe, je demande que, demain matin, au lever du soleil, il y ait sous mes fenêtres une barrique défoncée pleine de louis d'or, et une autre pleine de pièces de six livres toutes neuves.
Et il se coucha et s'endormit, tranquille, là-dessus.
Le lendemain matin, de bonne heure, l'hôtelier vint frapper à sa porte lui demander comment il avait passé la nuit et s'il n'avait besoin de rien. Le temps était beau et le soleil levant donnait sur les fenêtres de la chambre de Laouic.
“ J'ai pensé à vous et à vos créanciers, dit-il à son hôte.
“ Ah, quel bon coeur vous avez ! Répondit celui-ci ; si vous vouliez me délivrer de mes créanciers, je vous serai dévoué à la mort à la vie.
“ Il vous faudrait beaucoup d'argent ?
“ Hélas ! oui, il m'en faudrait beaucoup.
Laouic ouvrit alors une des fenêtres de la chambre, qui donnait sur le jardin, et dit :
“ Regardez un peu en bas, sous mes fenêtres ; pensez-vous que ce soit suffisant ?
L'hôtelier regarda et resta boche béante, immobile et sans voix, à la vue des deux barriques pleine de belles pièces d'or et d'argent toutes neuves et étincelant au soleil. Sa femme arriva aussi, en ce moment, et Laouic lui dit, en lui montrant ces richesses :
“ Voyez, madame, je vous donne tout cela, pour payer vos dettes et vous débarasser de vos créanciers.
Ils se jetèrent à ses pieds avec toutes sortes de protestations d'éternelle reconnaissance et de dévouement.
Dès le lendemain, l'hôtelier fit bannir, au son du tambour, que tous ceux à qui il devait de l'argent n'avaient qu'à se présenter chez lui et ils seraient payés immédiatement et intégralement.
Les créanciers ne manquèrent pas de venir, et chacun reçut ce qui lui était dû.
L'hôtelier céda alors son hôtel et alla habiter, avec sa femme et Laouic, un beau château que celui-ci avait obtenu par le pouvoir de son talisman. Ils se promenaient, tous les jours, par la ville, dans de beaux carosses, qui faisaient l'admiration de tout le monde. Un jour qu'ils passaient devant le palais du roi, dans un carosse couleur de la fleur d'ajonc, la fille du roi, qui était à sa fenêtre avec son père, les remarqua et demanda au monarque :
“ Qui est donc ce jeune prince qui a un si beau carosse ?
“ Je ne le connais pas, répondit le roi.
Et elle en devint amoureuse, sur-le-champ.
Le lendemain, laouic passa encore devant le palais, dans un carosse couleur de la fleur du poirier et attelé de six chevaux superbes, de même couleur. Comme la veille, la princesse était à sa fenêtre avec son père et elle ne put s'empêcher de s'écrier :
“Ah ! le beau prince, mon père ; je voudrais l'avoir pour époux.
Le troisième jour, Laouic passa avec un carosse et des chevaux couleur de la myrrhe et dont l'éclat surpassait celui du soleil. La princesse en fut éblouie et dit :
“ Il faut que vous me fassiez épouser ce beau prince, mon père.
“ Mais je ne sais qui il est, ma fille, répondit le roi.
“ Il faut le faire rechercher, mon père !
Le lendemain, le roi fit bannir par toute la ville que sa fille voulant se marier et prendre son mari parmi les jeunes gens de la capitale, ceux-ci étaient invités à passer à cheval et isolément sous les fenêtres du palais royal, afin qu'elle pût faire son choix.
Au jour dit, toute la jeunesse de Paris s'empressa d'accourir au rendez-vous et le défilé commença. La princesse, magnifiquement parée, était debout sur le balcon, ayant auprès d'elle son père et sa mère et tenant à la main une orange qu'elle devait présenter à celui sur qui tomberait son choix. Ce jour-là, il n'était guère venu que les fils des ministres, des généraux, des ducs et pairs et autres grands dignitaires du royaume. Tous passèrent sous le balcon, dans leurs plus beaux équipages, sans que la princesse présentât son orange à aucun d'eux, et ils s'en allèrent fort déçus.
Le lendemain l'épreuve recommença pour les fils des bourgeois et des riches marchands, mais sans plus de succès ; Laouic ne vint pas, et la princesse en était fort dépitée.
Le troisième jour, on invita à se présenter tous ceux qui n'étaient pas encore venus, de quelque rang et condition qu'ils fussent, et aussi les étrangers qui se trouvaient dans la ville.
Laouic vint, cette fois, avec des habits et un cheval couleur de la myrrhe. Dès que la princesse l'aperçut, elle s'écria:
“ Le voilà !
Et elle lui présenta son orange et l'emmena dans la palais. Le mariage fut célébré et les noces eurent lieu, sans délai, et il y eut de grands festins et de belles fêtes, pendant quinze jours.
Le roi avait aussi deux fils, deux beaux garçons, en vérité. Pourtant aucun d'eux n'était aussi beau et aussi vigoureux que son gendre, qui devint bientôt le favori du vieux monarque.
Laouic, qui n'avait pas oublié sa mère, alla bientôt lui rendre visite avec sa femme, en grand équipage. Ils l'amenèrent à Paris. Mais la bonne femme ne s'y plaisait point et elle revint bien vite à sa chaumière de Basse-Bretagne, pressée qu'elle était de reprendre son costume et de parler la langue de son pays.
Un jour que le roi se promenait seul dans un grand bois qui avoisinait son palais, il rencontra une vieille femme, une sorcière, qui lui parla de la sorte :
“ Vous avez, sire, un gendre qui est un terrible homme.
“ Cela est vrai, répondit le monarque, étonné.
“ Mais vous êtes-vous renseigné sur son origine et sa lignée ?
“ Non : à qui bon, du reste ?... un homme si puissant !
“ Eh bien, c'est un bâtard.
“ cen”est pas possible, bonne femme.
“ C'est pourtant comme je vous dis. Mais il possède un talisman, un grain de myrrhe, qui fait toute sa richesse et sa puissance ; si on pouvait le lui dérober, il redeviendrait pauvre hère, comme devant.
Là-dessus, le roi s'en retourna au palais, de fort mauvaise humeur. Il raconta tout à sa fille, qui déroba facilement son talisman à son mari. Laouic, qui n'était plus à craindre, fut alors accusé d'avoir trompé le roi sur son origine et sa lignée, et il fut condamné à être fusillé.
Comme il marchait à la mort, il remarqua, parmi la foule assemblée sur son passage, la jeune servante de son pays qui l'avait bien accueilli à son arrivée à Paris. Elle lui sourit et lui donna à entendre qu'elle désirait lui parler. Il demanda pour dernière grâce qu'il lui fût permis de l'embrasser, pour qu'elle transmît ce dernier baiser à sa vieille mère, en Basse-Bretagne. Le roi y consentit. Or la jeune bretonne avait dérobé le talisman à la princesse, qui l'ignorait encore, et elle le rendit à Laouic. Celui_ci, rassuré dès lors, marche d'un pas ferme et la tête haute au poteau d'exécution et commande lui-même le feu :
“Portez, armes ! En joue ! Feu !
Et douze fusils chargés à balle partirent ensemble. Mais Laouic tenait à sa main le talisman, qui le rendait invulnérable, et les balles s'aplatirent sur son corps. On le vit alors s'avancer, Tranquille et souriant, vers l'estrade sur laquelle le roi et la reine avec toute sa cour et sa femme elle-même étaient venus assister à sa mort. Et, les saluant ironiquement, il leur dit :
“ Au-revoir, beau-père et belle-mère, et vous aussi mon aimable épouse. Je m'en vais faire un tour dans mon pays de Basse-Bretagne, pour embrasser ma vieille mère ; mais je reviendrai, et vous aurez bientôt de mes nouvelles.
Ils eurent peur, protestèrent qu'ils avaient été trompés et le supplièrent de rester. Le roi promit même d'abdiquer en sa faveur. Laouic, touché de tant de protestations de bienveillance et d'amitié, vit tomber en un instant tout son ressentiment, et il céda et resta.
Cependant le roi alla encore consulter la sorcière du bois.
“ Eh bien, lui demanda-t-elle, en le voyant venir, tenez-vous le talisman ?
“Hélas, il l'an encore en son pouvoir.
“Oui, je le sais : il le porte à son cou, suspendu à un ruban et ne le quitte jamais, même en se couchant. Mais la princesse sa femme pourra facilement s'en emparer, la nuit, lorsqu'il dormira.
La princesse, instruite par son père, s'empara en effet une seconde fois du grain de myrrhe. On réunit aussitôt le conseil des ministres pour délibérer sur le genre de mort par laquelle on se débarasserait de Laouic. Il fut décidé qu'on l'enfermerait dans le souterrain d'un vieux château abandonné, nommé le château des rats, pour y être dévoré par ces bêtes. On l'y conduisit, couvert d'un vieux manteau gris, pour tout vêtement. Son amie, la Bretonne, se trouva encore sur son passage, et parvint à lui glisser un caht sous son manteau, en lui disant:
“ Tenez, voici un chevalier qui combattra pour vous et vous délivrera de vos ennemis.
Il fut enterré dans le souterrain où on l'abandonna, dans la plus profonde obscurité et sans nourriture. Rats et souris ne tardèrent pas à l'assaillir, en quantité innombrable. Il lâche alors son chat, en lui disant :
“ Défends-moi, chevalier, et besogne bien !
Et le chevalier se met vaillamment à l'oeuvre et besogne si bien que le roi des rats dit bientôt à Laouic :
“ Retenez votre chevalier.
“ Oui, répondit-il, si vous me rendez mon talisman, mon grain de myrrhe, qui m'a été volé par ma femme, la fille du roi.
“ Nous vous le rendrons ; mais faites cesser le carnage, vite.
Alors laouic appela à lui son chat et lui ordonna de cesser le carnage. Ce qu'il fit.
Les rats et les souris tinrent conseil et, la nuit venue, un rat et une souris, parmi les plus fins, furent envoyés au palais du roi, à la recherche du grain de myrrhe. Le grat grignotte tant et tant qu'il fait un trou à la porte de la chambre de la princesse. La souris pénètre par ce trou, perce aussi le coffret où la princesse renfermait ses bijoux, et enlève le grain de myrrhe. Ils apportent le talisman à leur roi, qui le remet à Laouic. Alors celui-ci dit:
“ Par la vertu de mon grain de myrrhe, que les morts ressuscitent et trouvent à manger, à discrétion !
Et les souris et les rats tués par le chat ressiscitent aussitôt et trouvent à manger à discrétion de ce qui leur plaît le plus.
Laouic se rendit alors avec son chat à l'hôtel où la jeune Bretonne sa payse était toujours servante, furieux d'avoir été trahi deux fois par la princesse et son père, et résolu à se venger.
Il écrivit au roi de venir le trouver, à l'hôtel, où il désirait l'entretenir. Le vieux monarque eut peur, et se rendit à l'hôtel, tout honteux et tremblant pour sa vie.
“A présent, lui dit Laouic, il faut que vous abdiquiez en ma faveur, car je veux être roi.
Et il abdiqua et retourna au palais avec Laouic et déclara, devant toute la cour, qu'il lui cédait sa couronne et que tous eussent à le reconnaître pour leur roi et à lui obéir.
Alors Laouic dit :
“ Par la vertu de mon grain de myrrhe, qu'un grand bûcher s'allume dans la cour du palais, avec trois fauteuils de fer, un pour le vieux roi, un pour sa fille et le troisième pour la sorcière.
Et aussitôt un énorme brasier s'alluma au milieu de la cour, et le vieux roi, sa fille et la sorcière étaient assis et liés chacun dans un fauteuil de fer, auprès du feu, poussant des cris affreux et faisant des grimaces et des contorsions de damnés, dans les feux de l'enfer. Ils furent cuits dans leurs fauteuils.
Voilà donc Laouic devenu roi de France. Il était veuf et jeune encore, et il lui fallait une reine.
Et où croyez-vous qu'il alla la chercher ? A la cour de quelque empereur ou roi puissant ? Non, il s'adressa tout bonnement à la jeune bretonne qui l'avait bien acceuilli, à son arrivée à Paris, et lui était venue en aide, dans le malheur.
Les noces furent célébrées avec grande pompe et solennité, et il y eut, pendant huit jours, des jeux et des festins publics où les pauvres et les mendiants furent aussi bien acceuillis et aussi bien traités que les riches.
Là on voyait – ici point -
Des cochons rôtis trottant par les rues
Avec des plats sur le dos, des couteaux dans le cul :
Chacun coupait où il lui plaisait.
J'y étais moi-même, je vis tout,
Et je suis venu jusqu'ici pour vous conter ce que j'ai vu.