C’est un article paru dans la presse quotidienne locale, une pétition qui vogue sur les réseaux, une information qui circule entre stupeur et colère. A Brasparts, une école va fermer.
Et ce n’est pas n’importe quelle école car c’est l’école de Georges. Vous ne connaissez pas Georges. C’est un petit garçon des classes maternelles. Sa maman et son papa ont tourné le dos à la très grande ville grise pour les vertes landes braspartiates, entre montagne et bocage, entre bruyère et ajonc. Et depuis une poignée d’années, ils cultivent de jolis moutons que surveille très sérieusement un lama nommé Kosmos. C’est là qu’il est né, Georges. Au milieu des moutons dans la lande. Enfin, façon de parler bien sûr. Il y a fait ses premiers pas, chaussé de bottes en caoutchouc, au beau milieu des brebis et des agneaux. Et même qu’avant d’aller à l’école, son meilleur copain, c’était Kosmos, le lama. Car un jour, un très grand jour, Georges a fait son entrée à l’école maternelle de l’école Sainte-Thérèse du bourg. Et ce jour-là, tout le monde était très fier. Voilà. Une histoire toute simple.
Mais un jour, des gens très importants de la très grande ville grise ont décidé de fermer l’école de Georges. « Ça ne va pas du tout ! » ont dit alors le papa et la maman de Georges ainsi que tous les papas et mamans des autres élèves de l’école. Ce à quoi les gens très importants de la très grande ville grise n’ont rien répondu parce qu’ils n’ont pas écouté car ils sont trop pressés d’aller fermer d’autres écoles dans d’autres bourgs.
Et pourtant, elle est jolie la petite école de Georges et même qu’elle a une étonnante et très longue histoire…
Tout commence il y a fort fort longtemps…
En décembre 1852, un tout jeune homme penché avec excitation sur le bastingage de La Forte qui appareille regarde sortir l’ancre ruisselante des eaux de la rade Brest. Le Vicomte René de Kerret a tout juste dix-neuf ans lorsqu’il embarque sur cette frégate commandée par l’amiral Febvrier des Pointes : il n’est pas marin mais artiste-peintre, dessinateur émerveillé, embarqué pour une aventure maritime autour du monde qui restera gravé dans sa mémoire jusqu’à la fin de son existence. Au XIXème siècle, ce genre de voyage est une sorte de point d’orgue dans l’éducation de la jeunesse dorée, une bouffée d’oxygène avant de rentrer dans le rang d’une société corsetée. Le navire met donc les voiles et le cap vers les mers du sud : Rio de Janeiro, Cap Horn, Valparaiso, Callao et Lima, Tahiti…
Le jeune vicomte, curieux et talentueux, fortuné et aimable, était né une cuillère d’argent dans la bouche à Quimper en 1833 dans une des plus vieilles familles de la noblesse bretonne dont la devise était « Tevel hag ober » soit Se taire et agir. Joli programme. Son père venait de faire l’acquisition cette même année d’une confortable bicoque du XVème, le domaine de Lanniron, sur les rives de l’Odet. C’est dans ce château, ancienne résidence d’été des évêques de Cornouailles, que le vicomte fera ses premiers pas et rendra son dernier souffle soixante-quatre ans plus tard. Ce jeune homme généreux, intelligent et curieux part donc à l’assaut du vaste monde ; il ramènera, outre croquis et dessins, un passionnant journal de bord et des souvenirs incroyables : il croise le fer avec les Russes lors de bataille de Petropalovski en1854, il apporte au président équatorien le traité de paix de la France, il est reçu à la cour de la reine Pomaré …
En mai 1855, des étoiles plein les yeux, il rentre en Bretagne pour mener une vie de gentilhomme à laquelle il a été préparé. Il se fixe au château de Quillien en Brasparts au fronton duquel figurent les armoiries familiales et la formidable devise. Tout s’enchaine dans l’ordre et le respect des conventions. Il convole en 1865 avec une jeune fille de très bonne famille –évidemment- qui lui donnera deux filles avant de s’éteindre en 1878. Si jusqu’à présent la vie l’avait comblé, ce père de jumelles –si je peux me permettre- entend faire profiter ses contemporains de cette bonne fortune: en 1873, le jeune Vicomte offre terrain et bâtiments pour que soit fondé le couvent de la communauté des filles du Saint-Esprit. Outre les services de santé qu’elles assurent, les religieuses qui s’installent dans les locaux de René de Kerret vont ouvrir une école pour les filles, notre future école Sainte-Thérèse. Dans un second temps, le vicomte de Kerret entreprend les démarches pour créer une école pour les garçons. Avant cela, il aura participé à la fondation de l’école libre des garçons à Pleyben. Mieux encore, l’élégant et généreux Vicomte met à disposition de la commune de Brasparts une dépendance au profit de l'école laïque des filles et l’institutrice y sera également hébergée. Ecoles publiques et privées, main dans la main. Un joli symbole.
L’accès pour tous à l’eau sera également un des combats du Vicomte qui fait construire, en 1889, un puits équipé d’une pompe devant les halles tout juste sorties de terre ; mais il jette vraiment toutes ses forces et investit une partie de sa fortune, certes dans l’accès à l’éducation, mais aussi dans la préservation du patrimoine des monts d’Arrée. Il fait partie de la Société Archéologique du Finistère, aux côtés notamment de Théodore Hersart de la Villemarqué et de Pol de Courcy. En 1886, il dirige la fouille d'un grand tumulus à Goarem Huella en Loqueffret, dans lequel il mit à jour un crâne et un vase. Il fait aussi don à la Société de médailles d’or médiévales, d’un dolmen à Loqueffret et de l'allée couverte de Ti-ar-Boudiged qu’il possédait à Brennilis. Il en dirigera d’ailleurs les fouilles en 1887.
Le Vicomte éclairé, gentilhomme bienveillant, disparaît en 1898 mais la petite école de Brasparts traversera tout le XXème siècle et entamera vaillamment le XXIème gardant en mémoire la belle devise « Tevel hag ober », Se taire et agir.
Tout ça, bien sûr, notre petit Georges ne le sait pas, mais il aimerait bien continuer à aller à l’école Sainte-Thérèse non loin de la bergerie du Squiriou. Et dévorer son goûter au milieu des brebis et des agneaux!
Une pétition est disponible en ligne pour permettre à Georges et ses petits camarades de continuer à faire vivre cette petite école à l’histoire si singulière.