Michel François Jacques Kerguélen
(1928-1999)
Michel KERGUELEN est né le 20 juillet 1928 à Paris, fils de François-Xavier, professeur de grec et de latin au lycée Janson-de-Sailly, et de Germaine Marguerite Marie Belot.
Sa famille paternelle est originaire de Brasparts et son cousinage est fort nombreux dans notre commune … Il passera d'ailleurs une partie de la guerre à Brasparts et Quimper, inscrit comme élève au collège Saint-Yves.
Enfant très doué, intéressé par tous les sujets, il a longtemps ignoré ce qu'il voulait faire. Puis, peu à peu, il se passionne pour la botanique.
Élève au lycée Janson-de-Sailly, il passe le baccalauréat scientifique avant de passer le concours d'agriculture.
Il rentre à l'Institut National d'Agriculture, et obtient le diplôme d'ingénieur en 1947. Classé 7e sur un cours regroupant une centaine d'étudiants, Michel Kerguélen rejette le choix de postes privilégiés et choisit de rejoindre l'Institut National de Recherche Agronomique (I.N.R.A.) pour œuvrer sur les plantes fourragères. Il effectue ensuite son service militaire avant d'être licencié ès-sciences naturelles (génétique, géologie, botanique, 1949-1950).
Au lendemain de la guerre, la France était en situation de pénurie alimentaire. Son agriculture accusait un retard considérable par rapport à celle des grands pays développés et ne permettait pas de subvenir aux besoins alimentaires de la population. C'est dans ce contexte qu'avait été créé l'Institut National de Recherche Agronomique en 1946, lequel avait reçu pour mission de mettre la science et la technologie au service du développement de l'agriculture en améliorant les techniques de production (culture et élevage) et la sélection génétique végétale et animale.
Michel Kerguélen, familiarisé avec la flore de Bretagne depuis son enfance, « étonnait ses camarades et ses professeurs par ses connaissances de la flore sauvage ». Il en fut de même à Brasparts, puis dans tout le Finistère, où il s'intéresse très tôt au développement du Conservatoire Botanique National de Brest ...
Michel Kerguélen rentre à l'I.N.R.A. en 1950 et travaille à Rouen sur les plantes fourragères. Cette station va participer à la relance de l'agriculture française, la recherche fourragère allant permettre une augmentation de la production des prairies : choisir des espèces, inventer des cultivars adaptés aux besoins.
En liaison avec le laboratoire des plantes fourragères du CNRA de Versailles, Michel Kerguélen va perfectionner son savoir dans ce domaine , participer à la mise au point des systèmes de fumure des graminées … « Il perçut très vite les lacunes dans la connaissance taxonomique précise de nombreux composants des prairies naturelles ou artificielles ».
Fort de son expérience et de ses essais sur les plantes fourragères, il envoya ses conseils pour améliorer l'efficacité des traitements, résoudre les problèmes de production fourragère et d'élevage, faire adopter l'exploitation des prairies temporaires, et offrir de nouvelles méthodes pour atteindre une exploitation la plus rentable possible et améliorer le niveau de vie des agriculteurs.
C'est ainsi qu'à partir de 1955, la revue Semailles publia quatre de ses articles concernant l'intensification fourragère en Bretagne :
- la prairie temporaire (octobre 1955) ;
- les problèmes d'exploitation rationnelle des herbages (février 1956) ;
- quelques précisions sur le semis et l'exploitation des prairies temporaires (octobre 1956) ;
- les chaînes de pâturage (octobre 1957).
Conseils parfaitement pris en compte et qui obtinrent de très bon résultats dans le temps ...
Michel Kerguélen viendra d'ailleurs très régulièrement visiter le Nivot où il se liera d'amitié avec le frère Nicolas, créateur du jardin et des serres du Nivot, qui introduisit essences rares et curieuses dans le parc botanique du Nivot, lequel reçut deux étoiles en 1980 par le ministre de l'Environnement, Michel d'Ornano.
« Michel Kerguélen, botaniste fort sympathique et très abordable, venait régulièrement visiter notre jardin, rencontrer bien évidemment Frère Nicolas et lui apporter des graines livrées dans des enveloppes.
Parmi ces graines se trouvaient nombre de plantes vivaces, mais aussi des graines d'érables, épanouis aujourd'hui devant la serre … » (Témoignage de Mona Le Borgne)
En 1969, il devient directeur du service d'identification à la station nationale d'essais des semences de La Minière près de Versailles et devient l'un des meilleurs spécialistes des graminées et de systématique botanique. « Michel Kerguélen a beaucoup apporté à notre laboratoire et au monde scientifique en botanique. Il a contribué à standardiser l'appellation de nombreuses espèces de plantes, contribuant ainsi à faciliter les échanges commerciaux de semences, fournissant des outils de compréhension au niveau international » (Témoignage de M. Joël Léchappé, directeur actuel de la Station Nationale d'Essais de Semences) .
C'est à cette époque, dans les années soixante-dix, qu'il rencontre Paul Auquier (photo ci-dessous), botaniste belge qui joua un rôle essentiel dans l'essor de l'herbier et du jardin botanique de l'université de Liège. Chercheur dynamique et compétent, tout en restant un homme d'une grande modestie, il écrira 60 publications et recevra le prix François Crépin par la Société Royale de botanique de Belgique avant de s'éteindre en 1980.
Envoyé en stage à La Minière, Paul Auquier se passionne pour les fétuques, entraînant Michel Kerguélen dans cette nouvelle recherche. En 1971, il publie un premier ouvrage, « Festuca rubra », puis en 1977 « un groupe embrouille de Festuca (Poaceae) », auquel participe Michel Kerguélen. Plus tard, Michel Kerguélen lui dédiera son ouvrage sur les fétuques (« à la mémoire de Paul Auquier qui fut mon initiateur à l'étude des Festuca »).
Michel Kerguélen va donc travailler en particulier sur la taxonomie difficile du genre Festuca pour lequel il propose un certain nombre d'espèces nouvelles. Avec son ami et collaborateur, François Plonka, il publie en 1989 l'ouvrage « Les Festuca de la flore de France » : « magnifique démonstration de ce que doit être la taxonomie moderne, nourrie d'une tradition longue et nécessaire … Elle est certes indispensable à tous les botanistes de terrain, mais elle devrait être aussi un modèle de ce que peut être la recherche taxonomique dans les universités et les musées du pays ; pas mal d'autres genres appelleraient en effet une approche comparable à celle à laquelle M. Kerguélen, rejoint ensuite par F. Plonka, a consacré pendant des décennies des efforts couronnés aujourd'hui d'un évident succès » (citation de M. Jacques Lambinon, professeur à l'Université de Liège).
Michel Kerguélen ne cessa « de déployer une immense activité : identification de semences, création d'une collection de référence, expérimentation sur les taxons cultivés ou les espèces sauvages, révisions systématiques, problèmes de stabilisation des nomenclatures, …, étudia nombre d'adventices, appréhenda très bien la question de l'acclimatation d'espèces allochtones, introduites volontairement ou non ... » (Témoignage de M. Gérard-Guy Aymonin)
« Il recevait un abondant courrier et de nombreux paquets de plantes à déterminer. Son laboratoire en était encombré et sur sa grande table il y avait un tel amoncellement d'échantillons de plantes et de lettres sans réponses que le directeur, M. Hutin, venu pour lui apporter un message téléphonique, ne trouvant aucun endroit pour le déposer a dû le suspendre au plafond » (Témoignage de M. François Plonka).
Maître puis directeur de recherches à La Minière, Michel Kerguélen multiplie ses activités : il rejoint son travail au plus tôt, voyage dans toute l'Europe, fait passer des examens en Suisse, en Belgique, au Canada... Assez indépendant, il est néanmoins en correspondance avec des botanistes du monde entier, apporte conseil et assistance à tous ceux qui le contactent (cf. courrier avec M. Robert Portal mais aussi témoignages de MM. Bernard, Brisse, …).
Multipliant les missions sur le terrain, sollicitant toutes les sociétés botaniques de France mais aussi d'Europe, spécialiste de « l'herborisation à la portière », il atteint au final le summum de la connaissance florale. Soucieux de perfection, il n'hésite pas à collecter, comparer, étudier, et surtout ensuite enregistrer toute plante nouvellement découverte, ce qui le conduit progressivement à bâtir le fabuleux Index synonymique de la Flore de France.
Toujours disponible, accueillant pour tous - collaborateurs et visiteurs, amis et collègues – son comportement est exemplaire. Il brille aussi dans tous les domaines de la culture générale, à tel point que ses amis l'imaginaient se présenter au célèbre « Questions pour un champion » - ce qu'il ne fit point, à leur grand regret.
Doté d'un grand sens pédagogique, il participe à de nombreuses sessions botaniques, offrant son savoir aux participants, mais aussi son esprit d'équipe, son rayonnement dans le monde botanique, et sa faculté d'adaptation aux régions qu'il visite …
Michel Kerguélen part en retraite à 63 ans, mais cela ne signifie pas pour autant l'arrêt de ses activités : il se rend quotidiennement au Muséum national d'histoire naturelle, embarquant dans le premier métro du matin avant de rentrer en milieu d'après-midi. Un travail gigantesque … Il publie en 1993 l'Index synonymique de la flore de France qui deviendra accessible sur Internet en 1998. Après son décès en 1999, son actualisation sera confiée par le Muséum national d'histoire naturelle de Paris à l'association Tela Botanica.
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L'Index synonymique de la Flore de France
Cet Index « de Kerguélen », « fruit de dizaine d'années consacrées à la recherche en Botanique », est une liste alphabétique des taxons de la flore spontanée et cultivée française, leurs synonymes et leurs hybrides.
Il comporte 62 000 citations de taxons. La syntaxe utilisée suit les règles du Code International de la Nomenclature Botanique ; elle est complétée par : les références bibliographiques de la diagnose des taxons, des nombre chromosomiques, et par la citation des espèces types des genres.
Cet Index est consultable et téléchargeable sur le site :
http://www2.dijon.inra.fr/flore-france/ Ce document de 196 pages a été publié en 1993 par le Secrétariat de la faune et de la Flore du Muséum National d'Histoire Naturelle. Après cette publication, Michel Kerguélen distribuait sur demande des versions Word postérieures à 1993 sur disquettes, versions qui correspondaient à l'avancement de son travail.
En 1994, Henry Brisse et Michel Kerguélen publièrent le CIFF, Code Informatisé de la Flore de France, ouvrage de 189 pages. Michel Kerguélen enverra, entre 1994 et 1999, à Henry Brisse près de 600 pages d'ajouts et de corrections.
Après la mise en ligne sur Internet, Michel Kerguélen n'était plus en mesure de modifier directement son travail.
En 1999, après le décès de Michel Kerguélen, l'Index fut transmis à Benoît Bock qui entreprit sa transformation en base de données. « La BDNFF apparaîtra officiellement dans sa première version en 2001 après plus de 2 000 heures de travail ».
Comme l'explique Benoît Bock sur son site :
« Le travail ne s'est pas arrêté là. De jour en jour et d'année en année, la base s'améliore par de très nombreuses corrections, de très nombreux ajouts, de très nombreuses homogénéisations des abréviations de noms d'auteurs (sur la base de "Author of Plant Names" de l'IPNI (International Plant Names Index) et de l'herbier d'Harvard) et des citations des sources bibliographiques. Chacune des versions (version 1 en 2001, version 2 en 2002, version 3 en 2003 et version 4 en 2005) est dotée de fonctionnalités nouvelles et d'un nombre toujours plus important d'informations et des corrections. La version 4 intègre la quasi totalité des basionymes de tous les noms présents dans la base. Elle comprend plus de 80500 noms ! (...)
Cet immense travail (plusieurs milliers d'heures de travail) est le fruit d'une collaboration intense entre des spécialistes de différents groupes taxonomiques et de l'aide conséquente d'un petit groupe de passionnés, cela grâce à l'échange de plusieurs milliers de messages électroniques ... »
(à suivre)