Marie-Jeannig de Rocquinarc'h en Saint-Rivoal

Voici un autre conte extrait du très beau recueil, malheureusement épuisé, de R. Trellu, (Contes et Récits des Montagnes d'Arrée et des Montagnes Noires", publié en 1956 à Brest par l'imprimerie du Télégramme.
Nous quittons les légendes pour un conte plus social, vraisemblablement tiré d'un fait divers réel. Les illustrations, signées François Joncour, proviennent d'une collection privée, celle d'Henri qui a donné son accord pour leur reproduction dans le forum.

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Au temps jadis, vivait au sommet des Monts d'Arrée, au village de Rocquinarc'h, en Saint-Rivoal, Per Jézéquel qui était le plus grand, je veux dire le plus riche propriétaire de la petite paroisse.


Marié tout jeune à Marguerite Bothorel sous le régime de la communauté des biens, il eut plusieurs enfants qu'il perdit en bas âge. Cependant, comme il était économe, sobre, laborieux, son patrimoine augmentait de jour en jour. Pour bien placer ses économies, il acheta deux belles fermes, une autre propriété à Pleyben dont il tirait un bon revenu. Il en était là, quand il eut le malheur de perdre sa femme et de rester seul à la tête d'une fortune que ses héritiers évaluaient à cent mille écus, somme considérable pour l'époque.
A partir de ce moment, ceux-ci lui faisaient de fréquentes visites. Tantôt c'était un neveu qui arrivait avec une barrique de bon cidre, tantôt une nièce avec des crêpes ou la belle-sœur avec du rhum parfumé, cadeaux que Per payait certainement au-delà de leur valeur, tout en parlant de choses et d'autres, mais jamais d'héritage.


Cependant, au milieu de ses biens, Per vieillissait et pour ne pas rester seul, songe au mariage avec Marie-Jeannig Picard, petite brunette de vingt-cinq ans. Il n'en fallut pas plus pour déclencher les attaques contre Jeannig qu'on disait coquette et désordonnée. Les plus acharnés adversaires de cette union étaient les héritiers qui s'en vinrent trouver la fille, essayant de l'en dissuader: « Il est d'âge à être votre grand-père; pensez-donc; vingt-cinq et soixante-neuf ans! Faut pas faire cette bêtise: faut prendre un époux de votre âge. »

Mais, chose bizarre, Marie-Jeannig était devenue sourde depuis qu'on parlait mariage. Elle écoutait, ne répondait pas, laissait faire les évènements si bien qu'un jour, la cérémonie se fit avec quelque tintamarre, puis tout se calma bien vite et la vie reprit normalement à Rocquinarc'h où les visiteurs venaient de moins en moins. Cependant, les plus intéressés tenaient bon, arrivaient avec des paniers pleins de poires ou de « goastell amande » que Marie-Jeannig à leur départ mangeait toute seule. Mais telle qu'elle était, elle faisait bon ménage avec son vieil époux avançant vers ses quatre-vingts ans et dont la santé commençait à donner des inquiétudes aux familiers, mais pas à Marie-Jeannig. Depuis longtemps, elle avait son plan de bataille, qu'elle préparait méticuleusement, de connivence avec sa tante Perrine Morvan. Celle-ci, vieille fille très avare, habitait avec marie-Jeannig, lui servait de confidente ainsi que de conseillère. Pour de l'argent, la vieille tante était capable de toutes les besognes étant dépourvue de scrupule.

Voilà qu'un matin, le mari ne se leva plus, le médecin appelé déclara:
« Une affaire de quelques jours, faites bien attention. »
Elle fit, en effet, très attention, ferma sa porte à tous les visiteurs sous prétexte de tranquillité recommandée au moribond que Perrine veillait nuit et jour. Un après-midi, le vieux Jézéquel rendit le dernier soupir. Sans se désemparer, Marie-Jeannig dit à sa tante:
« Mets-toi dans le lit, cache-toi bien auprès de Per. J'appelle le notaire. »
Quand l'officier ministériel arriva à Rocquinarc'h, il faisait déjà presque sombre. Le lit-clos mal éclairé ne permettait guère de distinguer les traits du malade. Ce qui était certain, c'est qu'il avait encore sa lucidité puisqu'il répondait aux questions posées; c'était l'essentiel.
Marie-Jeannig, pour gagner du temps, dit en substance:
« Per est très mal. J'ai donc cru bon de vous appeler pour régler les papiers de famille relatifs aux biens dont il me fait légataire universelle, n'est-ce-pas, Per? »
« Oui. »
Le malade ne pouvant signer, le notaire appelle quatre témoins, rédige son acte, pose les questions d'usage à son client qui, d'une voix oppressée, à peine audible, répond invariablement:
« Oui, oui. »
« Dans ces conditions, et par les présentes, marie-Jeannig Picard votre épouse légitime, devient légataire totale de tous vos biens. »
« Oui. »
Et ce fut tout.
A la nuit, le notaire s'en alla avec les témoins et Perrine sortit de sa cachette.
Le lendemain matin, elle répandit la nouvelle du décès qu'elle déplorait évidemment.
Les proches parents évincés firent bien quelque bruit; mais devant un testament en règle n'eurent que du vent.
Marie-Jeannig garda l'héritage, puis en attendant de se remarier, prit sa tante comme gouvernante.



Tout ceci n'était en effet qu'un coup bien monté par Perrine qui pour justifier son rôle équivoque dans cette donation, clamait à tout venant:
« Va doue!, comme Marie-Jeannig est à plaindre d'être veuve si jeune! »
« Heureusement que Per lui a légué tout son bien pour le grand amour qu'elle lui a témoigné (priz e yaouankiz). Il ne pouvait d'ailleurs faire mieux pour une épouse si charmante et si dévouée, le pauvre homme, que Dieu ait son âme. »
[justify]

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