La langue de chez nous
La question semble tranchée depuis bien longtemps:
"La république est une et indivisible et le français est la langue de la république".
Mais la cause est-elle si bien entendue?
Pendant longtemps on a traqué dans l'espace public tous les langages courants autres que celui popularisé par Molière, dont la grammaire oh combien subtile et piégeuse avait été fixée dès le XVII ème s. par le sieur Vaugelas- la figure historique et emblématique de mon chef- lieu de canton- honorant toujours le collège de son nom. Enfant, comme beaucoup de petits campagnards de ma génération j'ai baigné dans un monde bilingue.. A la maison et à l'école on parlait français, et même un très bon français.
En même temps, dehors, dans la campagne quand les gens du pays se rencontraient c'était une autre histoire; on entendait des sons, des intonations très différents et très marqués ainsi que de drôles de mots. C'était pas seulement le fait des anciens comme je l'avais constaté pour la première fois à ma grande surprise lorsqu'un fermier voisin était venu tailler une bavette avec le papa, dans ce baragoin d'initiés, alors qu'il travaillait au grand champ.
On disait alors- Untel y cause patois...Quand je suis entré au collège, au chef-lieu distant de 5 km de mon village, je ne parlais que le français mais je comprenais aussi toutes les conversations en patois. Lorsque la Mère C. du hameau d'à côté traitait bruyamment à l’occasion son père C. de grand touapan et de vieilla rooss, je savais fort bien que ce n’était pas vraiment une déclaration d'amour enflammée à l’occasion de la St Valentin.
A ce moment j'ai pris conscience d'une singularité, on est (naît) d'un pays, son petit pays et ça s'entend d'abord par l'accent de chez soi, de son patelin au risque d’être moqué par les gones de la ville. (Leur accent est juste un peu moins pourrave). Il devient alors vital d'abandonner au plus vite cette marque distinctive pour se fondre dans le groupe.
J'ai réussi mais il m'a fallu sans doute un peu de temps pour que ce soit évident puisqu'au lycée militaire d' Autun, un peu plus tard, je me souviens avoir fait rire mon chef de section avec mon accent "suisse" traînant avait il dit.
Longtemps j'ai oublié tout ça..En venant vivre à la pointe du Finistère pour ma retraite j'ai découvert et fréquenté- en l'apprenant- une autre tradition linguistique, et quelle tradition! Car le breton, lui, est une vraie langue, mar plij! En fin de compte avec les mêmes problématiques que celles découvertes plus de 50 ans plus tôt- les gens du pays qui ont pour la plupart oublié leur langue d'origine ont francisé souvent involontairement des expressions et tournures bretonnes qui sonnent étrangement aux oreilles d'un Lyonnais ou d'un Parisien-. Ces expressions savoureuses -d'autant plus qu'on y met un accent local prononcé- ont été recensées dans 2 recueils ayant obtenu un grand succès "les bretonnismes". Les mots peuvent différer selon les bourgs même si tout le monde les comprend, ça rappelle quelque chose, non?
Le patois de Rignieux n'est en effet pas tout à fait celui de Crans (3 km) n'est ce pas?
Le nombre de locuteurs du parler local s'est rétréci inexorablement avec le temps dans les 2 régions. Quand bien même un sursaut salutaire a enclenché une nouvelle dynamique encore bien insuffisante pour sauver la langue bretonne.
Pour en revenir à l'accent d'entre Saône et Rhône, notre activité touristique fait office à chaque saison estivale de piqûre de rappel; quel plaisir pour moi d'entendre parfois à l'accueil l'accent chantant, un peu traînant et les intonations prononcées soulignant les eu (les jeeunes) ou transformant un cahier en caillai...Je ne me trompe jamais dans ce cas sur la provenance de notre visiteur. Je me dis aussi qu'en fin de compte, même s'il est moins tendance que le méridional par exemple, notre parler n'était pas si moche... sauf quand on ne s'en servait plus que pour parler aux bêtes, et au moins on ne roulait pas les R comme dans le Morvan et le Berry.
Et comme disaient mes petites sœurs : on a un accent? Ah bon, tu crois!
L'avantage avec les longues journées de l'hiver breton venté et pluvieux c'est qu'on a tout le temps de s'instruire grâce à la science sans limite de Joe Google.
J'ai appris donc récemment que j'avais baigné quand j'étais" jeeune" dans une langue savamment qualifiée de dialecte francoprovençal, mélant des patois locaux provenant principalement de Lyon, de la Savoie, du Jura, de la Bresse et de la Dombes. Après tout, placés au milieu de tout ça sur la côtière de la Dombes qui plonge ici dans la plaine de l'Ain, avec pour horizon les premières cimes du Jura et des Alpes; et coincés en outre entre les faubourgs de Lyon et la Bresse voisine, les petits Rigniards comme moi n'avaient certes pas conscience d'accéder ainsi à un trésor inestimable, la richesse d'expression singulière d'un petit coin qu'on ne sait pas trop où situer, qui s'est ouvert sans le savoir et sans le vouloir à tous les vents et à toutes sortes d' influences.Et ce n’est pas la même chose que d’apprendre une 2ème ou 3ème langue comme on le fait de nos jours!
Un bon nombre de passionnés voulant faire revivre les traditions locales se sont penchés sur le sujet sans toutefois tomber dedans; en se retrouvant dans des associations savantes ou culturelles, en produisant des ouvrages et dictionnaires de référence, en chantant ou en écrivant des vieilles histoires.
Vous m'en direz tant! Comme disait ma maman…
Pour moi, après le temps de la honte ou de la gêne, il y a eu le temps de l'oubli puis est venu celui de la nostalgie et enfin celui du désir de réparation.
Oui, se replonger dans le passé, celui que l'on a vécu dans le bouillon de culture originel, c'est continuer de vivre un peu avec nos disparus et aussi transmettre leur mémoire. C'est un plaisir et aussi un devoir à renouveler à chaque génération.
Alors il faut oser le faire malgré les approximations, les erreurs involontaires, l'absence de repères écrits...en veillant à ne pas trop trahir les siens autant que faire se peut.
Pour celà il faut essayer de retrouver son âme d'enfant autour de ses 6 ans avant l'école et surtout rester à cette hauteur…
J'ai été bien trop long une fois de plus...je vous dis donc adieu comme on le disait autrefois, ce qui veut dire: à bientôt, j'espère que j'aurai le plaisir de vous retrouver pour d'autres occasions.
Pour la route, en attendant, j'y crains pas d'évoquer pour vous encore quelques expressions du cru que j'ai picorées dans ma mémoire.
Chéta tè et écota ma: c'est pour dire, je te prie de t'asseoir pour m'écouter, j’ai quelque chose à te dire.
Nomdédiu y s'appelle kmin mâ: c'est pour dire, comme je suis content et honoré de constater que tes parents t'ont mis le même prénom que le mien;
Jamai côchi, jamais lévâ: ça permet de se rendre compte que les ados ne changent décidément pas, depuis toujours ils sont debout quand il convient de dormir et vice versa…
Vin don dromi: justement, il conviendrait de s'abandonner au plus tôt dans les bras de Morphée;
Dé craiyé bin qu'y vâ plouvre: mon petit doigt m'a dit qu'il risque de pleuvoir...ou peut être bien qu'une vieille douleur s'est réveillée dans ma jambe et m'a prévenu de l'imminence d'une abadée. De toute manière, on a èté prévenu, car ça se bornayait depuis un bon moment du côté de Crans ou de Chalamont. Le ciel était tout mâchuré. Sujet de conversation inépuisable si on envisage aussi le beau temps, on n’est pas en Bretagne!
Va falloir aller maint'nant après la polaille, la cavale ou les cabans: en gros il est temps de s'occuper (les soins) de la volaille, de la jument ou des chèvres. Heureusement on a veillé à regrouper les jeunes chevreaux- les cabris- sous un boidon, c'est plus pratique pour les prendre pour la tétée!
Tu vas au coiffeur? Pourquoi pas, j'allais bien au champ les vaches et le voisin allait bien emmener la vache au taureau!
Visa maa, s'ti viu fregon! Exclamation maintes fois entendue proférée par le pépé au passage d'une vieille voisine devant sa fenêtre. Le terme est peut être une pure invention de sa part, il exprime en tout cas une profonde antipathie, une détestation dont je ne connaîtrais jamais les motivations puisqu'il n'est plus là pour la justifier.
Ça va merci, j'ai fait! : ça veut pas dire ce que vous croyez, mais c'est une façon de décliner avec tact et politesse pour ne pas être resservi d'un plat qu'on repasse lors d'un repas de batteuse. En d'autres mots c'est pour dire délicatement à la maîtresse de maison, ce n'est pas que je n'aime pas votre cuisine mais je n'ai plus faim, je suis rassasié, vous m'avez comblé!
Mon Dieu, qu'en peu de mots on peut dire des choses essentielles au-delà de la platitude des mots en français..
C'est pas faux, convenez-en!